V - Epanouissement à Chevreuse > Conrad Kickert offre sa collection à la ville de La Haye
En ce début d’année, le nom de Kickert apparut plusieurs fois dans la presse néerlandaise, notamment dans la page artistique du Nieuwe Rotterdamsche Courant
(NRC), moins comme peintre qu’en qualité de généreux mécène. La ville
de La Haye avait souhaité depuis longtemps se doter d’un musée digne de
son importance. Or elle commença à concrétiser son intention en
présentant au public un projet architectural. L’auteur de cette étude,
Hendrik Petrus Berlage, avait collaboré tout jeune à l’édification du Rijksmuseum d’Amsterdam
jusqu’en 1885, sous la direction de Cuijpers. Depuis lors, il avait
gagné une réputation qui faisait de lui le chef de file de
l’architecture moderne en Europe. Kickert appréciait Berlage à qui il
avait demandé en 1915 de présider le comité d’honneur du MKK débarrassé
de collègues encombrants. Aussi jugea-t-il que la promesse qu’il
s’était faite dès 1918, devait prendre la forme d’un engagement
officiel. Une circonstance l’y encouragea. Le musée d’Amsterdam,
en la personne de son directeur, M. Baard, venait, faute de place selon
lui, de refuser d’accueillir la collection Beffie, une décision qui
pouvait s’étendre à la collection Kickert qui, dans sa composition,
comportait du reste une parenté avec la précédente.
Kickert écrivit donc au bourgmestre et aux échevins de La Haye pour
offrir sa collection. Ceux-ci transmirent cette offre au Dr van Gelder,
directeur du musée. Ce dernier prit la plume sans attendre pour avertir
la presse de cette bonne fortune. Les journaux s’empressèrent de
publier son texte : "C’est comme
si l’incroyable devenait possible. Tandis que l’exposition des projets
a déjà reçu la visite de cinq mille personnes, il m’est communiqué par
le Conseil Municipal, la plus extraordinaire des offres en provenance
de Paris. Le peintre J.C. Kickert qui vit à Paris depuis des années,
ayant pris connaissance de plans demandés au Dr Berlage pour
l’édification d’un complexe de musées à La Haye, vient manifester son
approbation et son soutien, à titre d’enfant de cette Ville et
d’artiste, à un projet si favorable aux Beaux-Arts. Il offre dans ce
but à la Ville de La Haye, pour qu’elle prenne place dans le nouveau
musée, sa collection d’œuvres de jeunes artistes français et
néerlandais, comprenant plus de cent pièces : peintures,
sculptures, dessins, etc. à condition que soit prise dans l’année la
décision définitive de construire ce musée. En outre, il ouvre la
possibilité, sous cette même et unique condition, d’ajouter à sa
donation des œuvres qu’il va s’attacher à réunir, ce qui fait augurer
un enrichissement important de notre patrimoine. Que puis-je dire de
cette offre qui donne un peu le vertige ? Je connais la
collection, par la rumeur publique, comme très importante. A en juger
par les noms des maîtres contemporains qui y sont représentés, nous
pourrions bénéficier d’un apport concernant une période très
intéressante de la jeune peinture française, avec Le Fauconnier comme
figure de proue. Or la possession d’œuvres venant de l’étranger, offre
un intérêt considérable et prend une grande signification pour un musée
d’art moderne. Bien compréhensible est donc la tension dans laquelle
nous allons attendre la suite. En tous cas, le geste de cet artiste
nous fait du bien, rencontre et conforte les intentions que nos plans
de musée traduisent et il suscite chez tous ceux qui aiment l’art et
notre ville une gratitude chaleureuse."
Quelques jours après, le même journa (1), sous le titre "la Collection de J.C.Th. Kickert", apportait les précisions suivantes : "En
complément de la communication faite par le Dr van Gelder à notre
bureau de La Haye à propos du don par le peintre J.C.Th. Kickert de sa
collection d’œuvres de jeunes artistes français et néerlandais, nous
sommes en mesure d’annoncer que cette collection comporte des œuvres
des artistes suivants : Yves Alix, Georges Braque, Le Fauconnier,
Marcel Gromaire, Fernand Léger, Luc-Albert Moreau, Pablo Picasso, A.
Dunoyer de Segonzac, ainsi que de Petrus Alma, Mattheus Lau, Piet
Mondriaan, Kasper Niehaus, John Rädecker, Lodewijk Schelfhout, Jan
Toorop, Jaap Weyand, etc. Pour Le Fauconnier, la collection comporte
entre autres les œuvres capitales suivantes : 'la Femme à
l'Éventail', 'la Femme au Miroir', 'l’Abondance', 'la Toilette', 'le
Chasseur' ". Les peintres sont sagement classés dans
l’ordre alphabétique ; Picasso et Mondrian à l’alignement !
Le Fauconnier bénéficie in fine d’un traitement de faveur. Disons que
le texte nous paraît accuser au moins ses quatre-vingts ans. Nous
sommes imbus de la supériorité de nos jugements d’aujourd’hui. Quelle
autorité auront-ils gardée en l’an 2080 ?
Tout semblait aller de soi en cette année 1921 pour ce projet de musée
et personne n’imaginait qu’il n’aboutirait qu'en 1934. Nous y
reviendrons donc en temps utile.
(1) : NRC du 24 janvier 1921.