X - L'après-guerre > "Le Tour des capitales"
Le ministère néerlandais des beaux-arts avait organisé une exposition destinée à voyager en Europe du Nord sous le titre de "Peinture hollandaise contemporaine", accompagné de la mention "Herman Kruyder et ses contemporains". Pour Stockholm, le titre fut changé en "Expressionnisme hollandais contemporain", bien que les œuvres présentées fussent les mêmes. Dix artistes, parmi les plus connus en Hollande, avaient été priés d’y participer. Pour accompagner "l'Aurillacoise" récemment acquise par les Pays-Bas, un délégué du ministère des beaux-arts, M. Wiegers, avait choisi six autres œuvres dans l’atelier de Kickert (1). Celui-ci fut indigné, en recevant le catalogue de l’exposition, d’y voir inscrits seulement quatre de ses tableaux, "l’Aurillacoise" comprise. Trois œuvres avaient donc été écartées sans avertissement, ni explication préalables, une décision d’autant plus surprenante qu’autour de neuf toiles d’Herman Kruyder, on en présentait bien sept de Chabot, d’Eyck et de Gestel, que Sluyters, Charley Toorop et les frères Wiegman, Matthieu et Piet, avaient droit à six œuvres chacun ; Maks devait se contenter de cinq, mais le seul Kickert se trouvait réduit à quatre. A noter que tous les peintres, Kruyder et Kickert y compris, bénéficiaient de la reproduction de deux œuvres. Kickert se plaignit de la mutilation de son envoi à M. Wiegers, le 12 janvier. Les réponses de ce dernier ne le satisfaisant pas, il récidiva sans attendre en s’adressant directement au ministre (2). Il crut enrichir sa lettre d’observations sur le fait que l’estime dont il bénéficiait à Paris dépassait de loin celle que lui témoignaient ses collègues des Pays-Bas. Il concluait : "Puis-je me permettre, votre Excellence, de vous prier de donner l’ordre de me rendre immédiatement toutes les œuvres prêtées ?". Cette demande parvint au ministre alors que l’exposition venait de se terminer à Bruxelles, pour être inaugurée à Anvers trois jours après. L’excellence, en homme politique expérimenté, jugea urgent d’attendre. En fin de compte, le soin de répondre revint au directeur des Beaux-Arts (3) qui le fit seulement le 12 mars, sans d’ailleurs se référer à la demande faite au ministre : "M. Wiegers m’a fait parvenir votre lettre du 7 février dans laquelle vous le priez de retirer vos tableaux de l’exposition "Van Kruyder et ses contemporains", et de vous les renvoyer. Entre temps, vous aurez appris par M. Wiegers lui-même les obstacles qui s’y opposaient". Il en rappelait quelques-uns : le calendrier des expositions était fixé ne varietur, il couvrait un semestre, durée qui avait été annoncée aux artistes, les catalogues étaient imprimés longtemps à l’avance. Après avoir rappelé que "l’Aurillacoise" était la propriété de l’Etat néerlandais qui pouvait en disposer pour des expositions, il en venait, à propos des autres œuvres, à l’argument majeur : "L’exposition en question n’est pas une entreprise privée, elle est organisée par le gouvernement des Pays-Bas, c’est à ce titre qu’elle est reçue dans les différents pays, il ne peut y être apportée aucune modification durant la tournée". Ce qui lui permettait de conclure avec sérénité : "De ce qui précède, il vous apparaîtra clairement que le refus opposé à votre demande ne vient pas de notre mauvaise volonté, mais repose sur une impossibilité". Le surlendemain un collaborateur du ministère annonçait à Kickert qu’un transport spécial se rendant à Paris pour y prendre des toiles de Jongkind, pouvait profiter de son trajet aller, à vide, pour lui rapporter, en toute sécurité, les trois œuvres qui ne participaient pas à l’exposition. Il précisait : "En raison du grand format de deux de ces œuvres et vu que nous ne disposons ici que d’un volume limité, il ne faut pas laisser passer cette occasion et vos œuvres vous seront par conséquent renvoyées aujourd’hui". Il s’agissait de "la Montagnarde", un tableau en effet monumental qui avait été exposé à Paris au salon d'Automne de 1948 (4) et de la "Citadelle de Villefranche", de même dimension (5), que Conrad décida d’envoyer en 1950 au même salon. La troisième œuvre était "la Turquoise" (6), le magnifique portrait d’une jeune fille, de profil, les épaules enveloppées d’une étoffe de ce bleu-vert délicat.
Les toiles sélectionnées par les Beaux-Arts néerlandais et déjà montrées à Bruxelles (7), puis à Anvers (8), prirent le chemin d’Oslo (9) puis de Stockholm (10). Outre "l’Aurillacoise", il s’agissait de la "Vallée de la Dranse" (11), des "Livres" (12) et des "Champignons" (13).
Conrad reçut un relevé des critiques belges. Elles louaient surtout "l’Aurillacoise"et "les Livres". Libre Belgique et le Soir portèrent une appréciation plus générale, le premier journal notant que la palette de Kickert "est la plus intéressante avec des recherches de valeurs très "peintre", et le second "qu’il est l’un des plus vraiment peintres". Ces appréciations concordantes sur la manière de peindre avaient de quoi flatter chez Kickert l’artiste rigoureux, acharné au travail, interrogeant les œuvres des maîtres pour enrichir sa technique.
Pour le salon d'Automne, le seul auquel il participa cette année-là, Kickert envoya "Eve de Montparnasse" (14). Quelques critiques citèrent l’œuvre, mais sans aller jusqu’à la commenter, sauf Jean Bouret qui signala, Salle XII, "un modèle fort bien campé et très riche de sensualité" (15).
Kickert ne peignit que vingt-huit œuvres cette année-là, beaucoup moins que d’habitude, notamment dans le nombre de portraits. Les causes du fléchissement sont diverses et difficiles à recenser. Plus difficile encore serait d’évaluer leurs poids respectifs.
(1) : Cf. la lettre du ministère de l’instruction publique, des arts et des sciences en date du 9 janvier 1949 qui, outre la liste des six œuvres en cause, indiquait pour chacune d’elles le montant de l’assurance qui la couvrirait. Il est surprenant que "Premières neiges", achat du gouvernement néerlandais en juin 1946 (en même temps que "l’Aurillacoise") ne soit pas concerné.
(2) : Par lettre du 9 février 1949.
(3) : Le Dr N.R.A. Vroom.
(4) : Cf. supra, année 1948, p. 466.
(5) : "Villefranche" 1946 (114 x 146 cm) Opus A.46-34.
(6) : "Turquoise" 1946 (73 x 60 cm) Opus 46-33.
(7) : Du 15 janvier au 6 février 1949, au Palais des beaux-arts.
(8) : Du 12 février au 6 mars 1949 au Musée royal des beaux-arts.
(9) : Du 1er avril au 2 mai 1949 à Oslo Kunstforening.
(10) : Du 13 mai au 10 juin 1949 au National Museum de Stockholm.
(11) : "Vallée de la Dranse" 1937 (73 x 92 cm) Opus 37-15.
(12) : "Les Livres" 1948 (60 x 73 cm) Opus 48-06.
(13) : "Champignons (Luxeuil)" 1948 (54 x 65 cm) Opus A.48-31, nature morte faite à Luxeuil.
(14) : Cf. supra, année 1947, p. 461.
(15) :Dans l’hebdomadaire Arts du vendredi 30 septembre 1949.