IX - Adopté par l'Auvergne > Installation dans le Cantal
Certes, Aurillac, la préfecture du Cantal, avec une population grossie depuis l’exode jusqu’à quarante mille habitants, abritait un milieu cultivé prêt à accueillir un artiste et capable d’apprécier ses œuvres ; des notables, désireux de laisser leur portrait à leur descendance, ou à tout le moins, d’orner leurs murs de natures mortes ou de paysages. Les paysages du Cantal avaient de quoi satisfaire la quête, permanente chez Kickert, de sujets inédits, de difficultés nouvelles et offrir une lumière caractéristique, une de ses exigences constantes et du reste un aspect dominant de son talent.
C’est pourquoi, avant d’aborder Aurillac, Conrad, en juillet se rendit d’abord à Thiézac (1), un bourg à mi-pente dans la vallée de la Cère, une rivière qui dévale des monts du Cantal et se fraye un passage dans des gorges étroites en amont et en aval de Thiézac. Kickert ne manqua pas de s’aventurer dans le Pas-de-Cère, en aval, et d’y faire deux études (2) de dimension modeste, le seul format qu’autorisait l’accès difficile de ce lieu. Il peignit aussi le village de Thiézac étageant autour d’un clocher hexagonal, ses vieux toits de lave (3) , et, dans la campagne , ces granges au portail voûté qui accueillent des chars de foin hauts comme des diligences (4), ou encore une petite maison, tapie sous un toit de chaume , qui n’ouvre sur la montagne qu’un œilleton circulaire et crache sa fumée par une cheminée monumentale (5). Il travailla aussi de l’autre côté de la rivière. la Cère, au long des âges, avait rongé la montagne jusqu’à l’éboulement d’un pan entier, laissant des débris de rochers aux formes étranges (6). Conrad constata que les promesses d’Accarie n’étaient pas trompeuses et partagea le même enthousiasme que lui devant la variété et la puissance des paysages. On n’y voit cependant que les vestiges des volcans qui, à l’ère quaternaire, avaient secoué un socle usé par l’érosion depuis des millions d’années et l’avaient englouti sous leurs laves. Kickert comprit toute la force de ce pays et l’interpréta mieux que quiconque. Mystérieux, le hasard qui attribua ce don à un enfant des Pays-Bas ! La décision de s’installer là fut vite prise par Conrad. Après l’été à Thiézac, il dut descendre quelques mois dans un hôtel d’Aurillac assez confortable pour l’époque, en attendant d'y découvrir un logement comportant un atelier. Titanne, après des vacances chez les Anglada à La Bourboule, l’y rejoignit à la rentrée et fut inscrite au lycée de jeunes filles, en classe de philosophie.
La galerie Parvillée avait vendu une aquarelle et une marine de Conrad, extraites par Belabre du stock de la rue Boissonade, et Kickert fit verser au propriétaire de son atelier parisien le règlement correspondant (neuf mille francs) pour être à jour de ses loyers jusqu’à la fin de l’année. Il avait à Aurillac largement de quoi vivre sur les sommes provenant de ses ventes à Alger.
En remerciement du bon accueil qu’Accarie lui avait réservé et de ses efforts pour l’introduire auprès des personnalités d’Aurillac, Conrad lui offrit son portrait en uniforme de secrétaire général de la préfecture (7) et celui de Mme Accarie en robe du soir (8). Contrastant avec ces portraits quasi officiels, Kickert brossa celui d’un instituteur, vouant un respect presque religieux à sa lecture (9). Un bref séjour à Thiézac en décembre, lui permit de peindre les montagnes sous la neige, vues de la route nationale, sous le vent glacial nommé l’écir dans le patois du pays, un paysage qui effectivement incite à frissonner (10).
Au long de l’année, Kickert avait peint environ une cinquantaine d’œuvres, à partager entre La Partoucie et Aurillac, les figures (c’est-à-dire les portraits et les nus) et les natures mortes ayant été réalisées principalement en Charente, tandis que les paysages provenaient presque tous du Cantal.
(1) : Où il descendit à l’hôtel l’Elancèze tenu par Madame Lauzet.
(2) : "Pas de Cère, gouffre" (55 x 46 cm) Opus 42-15 et, (35 x 27 cm) Opus 42-18.
(3) : "L’Eglise de Thiézac" 1942 (65 x 54 cm) Opus 42-07 et, (81 x 65 cm) Opus 42-24.
(4) : "Grange au toit de chaume" 1942 (27 x 35 cm) Opus C.42-19 et, (24 x 33 cm) Opus 42-27.
(5) : "Chaumières à Thiézac" 1942 (81 x 65 cm) Opus 42-06.
(6) : "Le Chaos de Casteltinet" 1942 (81 x 65 cm) Opus 42-35.
(7) : "Portrait de Pierre Accarie" 1942 (81 x 65 cm) Opus 42-31.
(8) : "Portrait de Mme Accarie" 1942 (81 x 65 cm) Opus 42-30.
(9) : "Instituteur de village" 1942 (55 x 46 cm) Opus 42-33.
(10) :"L’Ecir" 1942 (60 x 73 cm) Opus 42-34.