IX - Adopté par l'Auvergne > Séjour à Saint-Chamant
C’est à Saint-Chamant que Kickert choisit de séjourner en janvier. Il
répondait ainsi aux invitations pressantes du châtelain du même nom qui
consacrait à la peinture le plus de temps possible et attachait du prix
aux conseils de Conrad. Le village de Saint-Chamant, à mi-côte sur une
rive escarpée de la Bertrande, groupe quelques maisons autour d’une
vieille et robuste église (1) . A quelque distance se dresse le considérable château complété au
XVIIème siècle par le propriétaire de l’époque : celui-ci ne
tenait pas sa puissance d’un héritage féodal, mais du zèle et de la
compétence qu’il avait apportés à servir le roi dans les affaires
administratives et judiciaires. Cependant la rudesse du site et du
climat avait conféré à la construction, en dépit des larges fenêtres de
sa façade, une austérité qui faisait penser davantage au fief d’un
guerrier qu’à la résidence d’un membre de la noblesse de robe. Dans les
toiles où il représenta le château de Saint-Chamant (2)
, Kickert se plut du reste à montrer la puissance de la partie
médiévale. Il y séjourna plusieurs semaines, la plupart du temps en
compagnie d’un autre amateur de peinture et grand ami du propriétaire,
le colonel Amable Michau (3).
Tous trois partaient ensemble dans les environs à la recherche de
paysages intéressants. Leur ardeur leur faisait si bien oublier le
temps qu’ils se trouvèrent une fois surpris par une tempête de neige et
incapables de rentrer avant la nuit. Heureusement Michau et
Saint-Chamant savaient qu’à un kilomètre de là, à peine, habitait une
amie, Mlle de Surrel, qui ne leur refuserait pas son hospitalité.
Transis et couverts de neige, ils atteignirent le château du Cambon où
une large cheminée brûlait en permanence des bûches longues d’un mètre.
Ils s’entendirent signifier qu’il n’était pas question de reprendre les
chemins par ce temps et que trois lits munis de bouillottes les
attendraient pour la nuit. L’avantage de ces demeures isolées est
qu’elles sont équipées pour toute circonstance fortuite et recèlent des
vivres et des couvertures. Au surplus, Mlle de Surrel, un peu seule en
cette saison, considéra cette visite comme providentielle et son
entrain dégela vite nos trois pèlerins boueux qui dînèrent et dormirent
confortablement. Ils prirent congé le lendemain, mais Kickert eut
auparavant le temps de fixer sur un petit format les traits de leur
hôtesse. Ce portrait maintenant somptueusement encadré, accueillit
longtemps les visiteurs de cette belle demeure (4).
De retour à Aurillac, Kickert reprit assidûment son travail en atelier
se consacrant surtout à des portraits. Il en peignit deux du colonel
Michau, l’un en train de peindre (5), l’autre au repos, fumant sa pipe (6).
Puis ceux de Roger Salvaing de Boissieu qui vivait paisiblement sa
retraite d’officier dans une propriété des environs. Il fut d’abord
représenté assis, son chien à ses pieds, un fusil en travers sur ses
genoux (7) . Mais il reprit son uniforme de commandant d’infanterie coloniale pour une effigie plus officielle (8)
. Comme Conrad lui portait beaucoup d’amitié, il s’attacha à le
faire revivre dans sa simplicité naturelle, la main posée sur une
canne, l’autre sur le ceinturon, portant à l’aise son visage de bon
vivant. Le modèle en fut satisfait, mais sa famille fort déçue. Kickert
conserva donc le tableau et en fit un autre, plus solennel dans
l’attitude et l’expression, qu’il orna dans le coin supérieur droit,
d’un écu aux armes des Boissieu (9). Tout le monde se montra ravi et l’œuvre fut accrochée à la place d’honneur.
Conrad fit aussi un portrait de son élève et massière (10)
que tous appelaient Arleton, le diminutif de son prénom. Elle posait
aussi pour le nu (comme elle l’avait fait pour "l'Ariadne") à quoi elle
se prêtait avec presque autant de satisfaction qu’à peindre elle-même,
parce que, ce faisant, elle interrogeait le maître sur nombre de
sujets, écoutant avec avidité ses réponses. Kickert acceptait
volontiers de parfaire sa culture, interrompant tout simplement sa
phrase lorsque son travail réclamait toute sa concentration. En
l’absence de modèle, il n’était pas démuni comme on le voit par les
nombreux autoportraits qu’il réalisa, et notamment par celui où il se
représenta enveloppé d’une large cape, le poing sur la hanche, sa canne
à pommeau d’argent dans l’autre main, sa silhouette se détachant sur le
fond neigeux des monts du Cantal (11) .
(1) : "Saint-Chamant, tour de Prallat et clocher" 1945 (47 x 56 cm) Opus 45-07.
(2) : "Saint-Chamant" 1945 (81 x 65 cm) Opus 45-02.
(3) : Ancien officier de carrière, il était en retraite et partageait son temps entre Aurillac et une maison de famille aux environs.
(4) : "Jeanne de Surrel" 1945 (24 x 19 cm) Opus 45-30.
(5) : "Colonel Amable Michau" 1945 (73 x 60 cm) Opus C.45-12.
(6) : "Colonel Michau" 1945 (55 x 46 cm) Opus C.45-13.
(7) : "Marquis de Boissieu en chasseur" 1945 (81 x 65 cm) Opus 45-09.
(8) : "Marquis Salvaing de Boissieu" 1945 (81 x 65 cm) Opus 45-14.
(9) : "Roger Salvaing de Boissieu" 1945 (81 x 65 cm) Opus 45-29.
(10) : Le massier (ou la
massière) est un élève d’excellent niveau à qui le maître confie le
règlement des questions pratiques nécessaires à la bonne marche de
l’atelier.
(11) : "Autoportrait devant les monts du Cantal" 1945 (100 x 81 cm) Opus 45-06.