IX - Adopté par l'Auvergne > Retour à Paris
Dunac, mobilisé à Bordeaux, en tant que capitaine de réserve, avait
gardé le contact avec Kickert. Il avait même essayé de vendre des
toiles de lui dans la région, mais, accaparé par ses fonctions
militaires, il n’obtint pas de résultats. Cependant Dunac gardait le
souci des tableaux reçus à Alger pour l’exposition de 1942 et, en dépit
de ses longues absences, s’attachait à trouver des amateurs en Algérie
pour ceux qui étaient demeurés invendus. Le 20 avril il reçut un câble
de Kickert qui souhaitait recevoir d’urgence le produit des ventes déjà
réalisées, un vœu auquel il avait répondu depuis la veille en envoyant
d’Alger, où il se trouvait pour quelques jours, une somme de cent vingt
mille francs par chèque postal. Dunac espérait à l’époque rapatrier sa
famille en Gironde et s’y installer définitivement. Il adressa donc à
Conrad, indépendamment de son règlement, le relevé détaillé des ventes
réalisées, soit vingt tableaux en comptant celui livré au musée
d’Alger. Il se préoccupait aussi de ceux qu’il détenait encore et
voulait leur assurer une destin favorable : "Je laisse le reste de
vos toiles à un de mes amis, M. Martinet, qui est le "manager" de
Marquet (1). Elles sont en de
bonnes mains et aucune ne doit revenir en France (à moins que vous ne
le désiriez), car c’est un vendeur de grande classe, quoique les
affaires ici soient calmes autant que je puisse en juger".
Non seulement Kickert approuva l’initiative de Dunac, mais il envoya au
mois d’août à Martinet quinze œuvres supplémentaires dont le
destinataire donna un reçu comportant l’évaluation de chacune. Le total
se montait à cent cinquante mille francs. Le prix moyen de dix mille
francs par tableau résultait de valeurs variables s’échelonnant de
quatre à vingt mille francs selon leur format et leur sujet. Les
paysages, particulièrement les deux peints à Saint-Chamant l’année
même, étaient mieux cotés que les natures mortes, ce qui étonnera étant
donné les goûts de la clientèle méditerranéenne à laquelle ils devaient
être proposés. Plus logiquement, la "Belle de plage"
peinte à Deauville en 1929, se distinguait, par une appréciation plus
favorable, de toutes les autres œuvres qui dataient de 1943 et 1944.
Quelle que fut la prudence de Martinet, il avait présumé de l’intérêt
du public et quelques années plus tard, Kickert fit revenir l’essentiel
du lot qui comportait encore l’œuvre de Deauville (2) et celles de Saint-Chamant.
Avant tous ces développements, Conrad avait, au mois de mai, pris une
décision longuement débattue dans son for intérieur, attendue par des
amis et collègues qui l’y encourageaient depuis longtemps, celle de
retourner à Paris. Ce ne fut pas une mince affaire.
Titanne (à laquelle nous rendrons désormais son prénom, sans diminutif,
Anne, qu’elle avait repris dès son arrivée à Aurillac) passant la plus
grande partie de son temps chez les amis de La Réau depuis le début de
l’année, il revint à Arleton qui avait rejoint Paris dès avril, de
rouvrir les ateliers de la rue Boissonade abandonnés par Conrad depuis
juin 1940 et par les Osterlind depuis près de deux ans. Elle s’occupa
de faire nettoyer des locaux qui, en l’absence de tout chauffage,
avaient souffert de l’humidité. Tout étant à peu près en ordre de ce
côté-là, il convenait de régler aussi la situation de l’atelier
d’Aurillac. Conrad se résolut à en continuer la location pour
d’éventuels séjours, bien qu’il eût déménagé non seulement tous ses
tableaux, mais aussi la plupart des meubles acquis au cours de son
séjour auvergnat. Il faut y inclure les cadres fabriqués par Siquier , un menuisier d’Aurillac, d’après le modèle conçu par Kickert sur
la base du seul matériau disponible, le bois, à l’exclusion de toute
dorure ou sculpture, cadres qui ne manquaient pas d’allure dans leur
simplicité et mettaient bien en valeur les paysages austères du Cantal.
Beaucoup subsistent chez des amateurs car ils sont inusables.
(1) : L’épouse du peintre Albert Marquet (1875-1947) était une demoiselle Martinet.
(2) : Cf. supra, année 1929, pp. 265-266.