VIII - Les réfugiés en Charente > Tracas en Charente
Kickert avait distingué un étudiant apte à le seconder, Wouter van
Wijk, et lui confia des tâches exigeant finesse et résolution. Il fut
si content de son aide, qu’il fit passer aux Pays-Bas un mot pour sa
mère, l’assurant qu’il le considérait comme un fils (1).
De son côté, Wouter témoigna toute sa vie un profond attachement à
Conrad ; devenu dix ans plus tard directeur du journal Het
Vaderland, il confia à Kickert la charge des articles sur l’activité
artistique à Paris (2).
En revanche Kickert perdit un soutien précieux du fait qu’Accarie,
ayant été nommé en novembre secrétaire général de la préfecture du
Cantal, dut quitter Confolens pour Aurillac.
Une autre déconvenue, le mois suivant, lui vint de l’association des
"Amis de Conrad" qui lui fit part de la résiliation anticipée du
contrat qui la liait à lui, en raison de l’impossibilité où elle était
de joindre ses membres et d’obtenir le versement de leur cotisation (3).
Kickert ne fit dans sa réponse aucun commentaire sur cette décision, du
reste expressément autorisée dans le contrat, se montrant seulement
désireux d’obtenir des nouvelles de Glaser et de quelques autres.
L’association restait néanmoins redevable d’un complément envers lui,
car il n’en avait reçu que onze mille deux cents francs du début de
l’année à fin mai et rien ensuite évidemment. Il jugea que cette
question pouvait attendre. Toutefois il indiqua in fine que ses
fonctions auprès des réfugiés néerlandais ne l’empêchaient pas de
travailler ferme à sa peinture. Sur ce point il s’illusionnait, ou à
tout le moins anticipait, puisqu’il n’avait pas pu produire plus de
quatre ou cinq œuvres sur l’ensemble du second semestre de 1940.
Titanne avait passé les mois d’été près de Florac, en compagnie de ses
amies Osterlind, chez Madame Sandoz qui, en dépit de la naissance d’un
cinquième enfant et de l’absence de son mari mobilisé, puis prisonnier,
s’employait à leur rendre la vie agréable et à les réconforter de son
affection. Les jeunes filles, émues par l’exode et la déroute
militaire, se dévouèrent dans la mesure de leurs moyens. Elles jugèrent
qu’elles devaient offrir un groupe d’accueil à tant d’enfants déracinés
et désœuvrés. Lise et Marie-Claire Osterlind qui avaient pratiqué le
scoutisme, proposèrent d’encadrer une troupe de "guides". Titanne qui
avait été "éclaireuse", se joignit au projet et l’autorité
ecclésiastique se réjouit du concours de tant de bonnes volontés.
Personne ne s’inquiéta de savoir si Titanne était catholique. Or son
père étant baptiste, église dans laquelle le baptême n’est conféré
qu’aux adultes, il ne s’était jamais soucié de son éducation
religieuse. Titanne s’appliqua à être un bon chef d’équipe et tout
naturellement, ne serait-ce que pour savoir répondre aux questions de
ses jeunes guides, s’interrogea sur la foi. Elle ressentit vite le
désir d’être baptisée, expliqua son cas à Mme Sandoz qui la dissuada de
prendre ce chemin sans en avoir prévenu son père. Elle fit donc part de
ses intentions par une lettre à celui-ci. Conrad le prit très mal, lui
répondit qu’elle renierait, ce faisant, toute la lignée de ses
ancêtres. Jugeant d’ailleurs la situation trop alarmante, il laissa à
van Wijk pour quelques jours la responsabilité du centre de réfugiés,
et se rendit à Florac pour la ramener immédiatement en Charente avec
lui. En raison des conditions de logement plutôt sommaires de La
Partoucie, il loua pour elle une chambre dans une gentilhommière située
à quelques centaines de mètres du centre. Titanne fut inscrite en
octobre en classe de seconde au collège de Confolens et en demi-pension
chez une habitante de la ville. Elle faisait matin et soir à
bicyclette, le trajet de sept kilomètres entre "La Vieille Partoucie"
et le collège. Bien que le proviseur rappelât en toute occasion que
l’établissement était un collège de garçons où les demoiselles
"n’étaient que tolérées", elle n’y fut pas malheureuse et se lia
agréablement avec une demi-douzaine de compagnes soumises par les
circonstances au même régime.
(1) : Lettre du 27 août 1940.
(2) : Cf. infra, chapitre "la Vie sociale de Conrad", p. 504, note 21.
(3) : Lettre de M. J.
Pallier, datée de Vichy, le 30 novembre1940, à laquelle il joignait une
lettre préparée par le président Louis Glaser en date du 15 septembre,
mais dont les événements avaient retardé l’envoi.