VIII - Les réfugiés en Charente > Exposition charentaise
Au long de l’été Kickert mit au point, avec M. du Vignaud, leur projet
d’exposition de peinture charentaise. A l’origine l’idée en était venue
à un M.J. Tanner résidant aux environs de Confolens et voisin du
château des Brosses qu’habitait M. du Vignaud, à
Saint-Maurice-lès-Lions, Il en fit part à M. du Vignaud qui vit tout de
suite ce qu’on pourrait tirer de ce projet avec le concours de Kickert,
précieux par ses connaissances dans ce domaine et par ses dons
d’organisation. Ceci se vérifia lorsqu’on en vint à la disposition des
lieux et à l’accrochage des œuvres, mais M. du Vignaud avait apporté de
son côté de précieuses suggestions pour faire de l’exposition un
événement local. Il proposa de lui donner un caractère de bienfaisance
en attribuant d’avance le profit financier au Secours national. La
placer sous la présidence d’honneur du sous-préfet de Confolens allait
de soi, mais la composition d’un comité d’honneur bénéficia des
relations de M. du Vignaud et de sa connaissance détaillée du milieu
charentais. Il sut convaincre le curé de Confolens d’y figurer en
première ligne avec son rang de chanoine et son titre
d’archiprêtre ; le colonel commandant le district militaire et un
général, du cadre de réserve certes mais président de la Légion des
combattants, acceptèrent d’apporter leur soutien à côté du représentant
de l’Eglise. Il leur adjoignit l’inspecteur d’académie flanqué du
principal du collège (qui offrirent de prêter pour l’exposition les
locaux scolaires disponibles pendant les grandes vacances) et le
président du Secours national du département de la Charente. Il prit
bien soin aussi d’y inscrire les élus municipaux à savoir le maire de
Confolens, mais aussi ceux des deux chefs-lieux de canton les plus
proches, toutes villes et communes qui abritaient des artistes
exposants. Au fur et à mesure de ces démarches, toutes les
autorisations nécessaires avaient été sollicitées et acquises. Dans une
entreprise de cet ordre, il faut bien sûr, en plus d’un parrainage
prestigieux, disposer de personnes compétentes et dévouées pour se
répartir les tâches indispensables. Elles furent réunies au sein d’une
commission d’organisation que présida M. du Vignaud, dont M.J. Tanner
fut nommé trésorier et où la partie artistique était assumée par le
baron de Belabre et Conrad Kickert.
Entre temps, avait paru dans le Républicain confolentais et le Courrier
du Centre, un entrefilet dont l’objet principal était d’aviser les
peintres de la région d’un projet d’exposition au profit du Secours
national. Le bouche à oreille diffusa l’information, si bien qu’une
participation suffisante se trouva vite acquise. La date du vernissage
donna quelques soucis lorsque M. du Vignaud s’aperçut que celle du 11
septembre choisie d’abord, tombait un jeudi, que le jeudi était un jour
de chasse autorisée, ce qui écarterait à coup sûr les disciples de
saint Hubert. Tout le monde fut rasséréné en notant que le lendemain 12
non seulement n’avait pas cet inconvénient, mais correspondait au jour
de foire à Confolens, source de fréquentation. Les autorités concernées
donnèrent leur agrément pour le vendredi 12. Le sous-préfet fit part du
sien à Kickert dans une lettre où il lui donnait du "Monsieur le
Consul".
L’exposition présenta 102 œuvres fournies par 22 exposants. Respectueux
du règlement qu’il avait lui-même élaboré, Kickert limita sa
participation à cinq œuvres : deux paysages, deux natures mortes
et un dessin. M. du Vignaud, discret et modeste, n’envoya qu’un pastel.
Trois exposants à qui l’occasion de montrer le plus possible de leurs
œuvres parut inespérée, joignirent à leurs cinq tableaux un même nombre
d’aquarelles ou de dessins, ce que le règlement autorisait. Il ne
s’agissait pas des meilleurs artistes, mais comment refuser ce qui a
été transporté sur place après avoir été doté d’un bel, ou à tout le
moins d’un coûteux, encadrement ? Du reste le local du collège
offrait une longueur de cimaise suffisante pour l’accrochage. Certes
tous les emplacements ne se valaient pas, mais le talent que Kickert
avait exercé plusieurs fois comme placeur aux Tuileries, lui permit de
convaincre, de rassurer et parfois de satisfaire ceux qui s’estimaient
défavorisés.
Bon nombre d’œuvres furent vendues au prix demandé par leurs auteurs,
un prix dont le quart allait au Secours national. Cet organisme devait
recevoir aussi le montant des entrées, deux francs par visiteur et en
outre les trois quarts du prix d’adjudication d’une vingtaine de
tableaux, chaque exposant s’étant engagé à l’origine à abandonner une
des œuvres présentées par lui à l’exposition, en vue de sa mise en
vente publique. Cette initiative à la fois charitable et culturelle
avait donc tenu ses promesses. Elle se renouvela en 1943 grâce aux
mêmes concours. A cette époque les bénévoles et sympathisants agirent
au nom d’une association qu’ils créèrent dans ce but sous le nom de
Confrérie de saint Luc, placée sous la présidence d’un bayle (1)
(M. du Vignaud), assisté d’un procureur (Serge de Belabre). L’emploi de
titres tombés en désuétude, surprenants dans le cadre d’un groupement
artistique, attestait du moins la culture historique des fondateurs
sans pour cela garantir la pérennité de la confrérie.
(1) : L’équivalent d’un prévôt en droit féodal !