VIII - Les réfugiés en Charente > Projet d'exposition à Alger
Kickert continuait à s’acquitter de sa mission bien que la charge s’en
trouvât allégée en raison des départs successifs de nombreux réfugiés
vers d’autres abris quelquefois lointains. Il en profita pour reprendre
son manuscrit des "Opinions" auquel il apporta beaucoup de retouches et
d’ajouts. Il saisissait quand même toutes les occasions de peindre. Au
long du premier semestre, il signa trois paysages : "les Douves" (1) de "La Vieille Partoucie" ainsi que "le Château de Saint-Germain de Confolens" (2) et une réplique en grand format d’une étude faite en 1941 "Carrière à La Réau" (3). Il faut y ajouter quatre natures mortes dont un remarquable "Cactus" (4)
qui s’impose autant par la simplicité du sujet, la précision du dessin,
le raffinement de la couleur, que par une composition quasi-géométrique
où s’inscrivent quatre cercles et un trapèze. Dans le domaine des
figures, il fit son autoportrait, le buste engoncé dans une veste à col
de fourrure, deux portraits de sa fille, ici lisant, là cousant, et –
témoignages d’une certaine liberté de temps et de déplacement – trois
autres portraits effectués au domicile des modèles, relations de
voisinage comme le châtelain de La Réau. Pour être complet à propos des
œuvres de ces six mois, il faut signaler deux nus montrant de dos la
même rousse allongée, le visage dans un oreiller où elle enfouit sa
pudeur ou plutôt cache sa timidité.
Aucune de ces œuvres ne devaient procurer à Kickert un quelconque
profit et d’ailleurs elles n’avaient pas été réalisées dans ce but. Il
fallait tout de même qu’il pourvût aux charges de sa vie comme à celles
de sa fille et il s’en inquiéta notamment auprès de Belabre chez qui il
trouva compréhension et dévouement. Belabre venait à l’occasion à
Confolens (5), mais habitait
Saint-Cloud et conservait le contact avec Paris et le monde de la
peinture. Il pouvait accéder à l’atelier de la rue Boissonade si besoin
était, ce qui fut le cas assez souvent à partir du moment où les
Osterlind se furent installés ailleurs en ville (6).
Belabre introduisit Kickert dans deux galeries parisiennes chez
lesquelles, après avoir expérimenté pour lui-même leurs capacités, il
mit en dépôt des toiles de Conrad. Celui-ci accepta cette relation,
certes indirecte, avec des marchands de tableaux, grâce à la confiance
qu’il avait en son ami. Il s’agit d’abord de Clausen, ensuite de
Parvillée, lequel offrait un bel espace d’exposition au 104 boulevard
Haussmann et avec qui Conrad garda des contacts quelque temps par la
suite.
Avant même que des résultats aient pu se concrétiser dans ce domaine,
Kickert fut sollicité par une galerie établie à Alger qui se
recommandait de Glaser. Conrad n’avait pas eu de contact avec Glaser
depuis près de deux ans et apprit ainsi sa présence à Alger. Il
reconnut là sa bonne volonté prête à l’aider pour vendre ses œuvres. De
son côté Dunac, le marchand de tableaux qui faisait cette démarche (7),
avait une confiance absolue en Glaser et, se fondant sur le parrainage
de ce dernier, il accordait d’emblée le même crédit à Kickert. La
conjonction, rarissime dans le domaine des affaires comme dans le monde
de l’art, de trois personnes douées des mêmes vertus fit un miracle.
Soit par l’intermédiaire de Glaser, soit entre eux, Kickert et Dunac
réglèrent en un mois la mise en place d’une "Exposition des œuvres du
peintre hollandais CONRAD", sans qu’aucun n’eût à se déplacer. Dunac
avait été précédemment directeur de la meilleure galerie d’Alger, mais
il agissait cette fois à son propre compte. Il s’était lancé, après
avoir vu quelques œuvres que Glaser tenait de Conrad, en offrant au
peintre cette exposition particulière. Kickert répondit (8)
par retour du courrier : "...L’idée d’une exposition à Alger
m’enchante. Je ferai tout mon possible pour réunir un ensemble, ce qui
est un peu compliqué parce que plusieurs galeries à Paris m’en
réclament aussi. La plus grande difficulté sera la pénurie de cadres.
Le mieux serait de les faire sur place… Dès que j’aurai l’adresse de M.
Glaser je lui exprimerai ma reconnaissance de m’avoir mis en relation
avec vous". Un télégramme de Glaser (9)
ainsi rédigé s’ensuivit : "Peux-tu envoyer immédiatement trente ou
quarante toiles sans cadres et au besoin sans châssis. Stop. Dunac
désirerait inaugurer ouverture nouvelle galerie avec tes œuvres. Stop.
Si d’accord envoie-moi toiles. Lettre suit. Amitiés. Glaser 139 Chemin
du Telemly Alger".
(1) : "Les Douves de La Pardoussie" 1942 (65 x 81 cm) Opus 42-03.
(2) : "Château de Saint-Germain de Confolens" 1942 (73 x 60 cm) Opus 42-28.
(3) : "Carrière à La Réau" 1942 (65 x 81 cm) Opus 42-09.
(4) : "Cactus" 1942 (73 x 60 cm) Opus 42-04, musée des Années trente (Boulogne-Billancourt).
(5) : Ou, plus exactement aux
environs de La Rochefoucault, dans la propriété de sa famille, le
manoir de Fontceau, que traversait la ligne de démarcation… ce qui
donnait quelques facilités.
(6) : Rue du Cherche-Midi, puis quai Anatole-France.
(7) : Lettre d’Henri Dunac à CK du 14 mars 1942 (archives Gard-Kickert).
(8) : Lettre de CK à Dunac du 17 mars 1942.
(9) : Télégramme de Glaser à CK du 25 mars 17 heures 30, qui parvint à CK le matin du 26.