V - Epanouissement à Chevreuse  > Les amis de Montparnasse à Talou (Chevreuse)

Dès les premiers beaux jours, ils s’installèrent à l’Enclos de Talou qu’ils partagèrent durant trois mois avec les Bronner. Puis au début de juillet, Pierre Dubreuil (1), sa femme Elvire et leur petite fille entamèrent aussi un séjour de trois mois. Les Gromaire qui avaient passé quelques jours fin juin et début juillet revinrent après le 15 octobre et y rencontrèrent Luc-Albert Moreau (2). Laboureur et sa femme firent une apparition. Christian (dit Chris) de Moor et Hetty, sa jeune épousée, passaient fréquemment en voisins puisqu’ils avaient acquis une petite maison, à quelques centaines de mètres de là, dont Conrad, avant leur arrivée, avait surveillé l’arrangement (3). Ils retrouvaient à l’Enclos des compatriotes comme le peintre Fred Klein ou la charmante Lous Beyerman, sculpteur, qui s’offusquait un peu, paraît-il, des histoires lestes que racontait parfois Conrad. On aura une idée de l’atmosphère détendue et pourtant très "culturelle" à travers la lettre (4) où Pierre Dubreuil, rentré à Paris, évoque "les longues soirées tranquilles dans la salle à manger ou sur la terrasse, au cours desquelles nous avons agité tant de problèmes artistiques, sociaux, sentimentaux et dit aussi tant de rigolades et plaisanteries de haulte gresse". Il ajoute qu’il a revu ses toiles de Talou dans une autre lumière et qu’il n’en est pas mécontent.

Car durant la journée, les artistes travaillaient, chacun dans son atelier ou sur le motif. Gromaire trouva le temps d’y peindre aussi un magnifique portrait de Conrad, une harmonie en bruns où la puissante carrure et la personnalité de son hôte semblent comme à l’étroit dans un cadre. Gromaire lorsqu’il était absent se rappelait au souvenir des amis en leur envoyant des caricatures  sur la vie à Talou, évoquant de menus événements drolatiques ou faisant référence au caractère de chacun. Le tout sans méchanceté mais en joyeux compagnon qui garde quand même un œil aigu.

Et de temps à autre le ton se fait sérieux. Comme Conrad, en proie au doute depuis plusieurs semaines, laisse percer son découragement dans une lettre à Gromaire vers la fin d’août, ce dernier lui écrit (5) le 2 septembre : "Je t’aurais répondu plus tôt sans ce petit voyage car je voudrais si possible t’aider à sortir de cette crise qui empoisonne ton été. Pour cela je vais te parler avec une extrême franchise comme un ami le doit à un ami. Tant pis si tu m’en veux ; j’ai trop d’affection pour toi pour me taire...". Suivent six pages admirables de conseils, de critiques et d’encouragements. D’abord Gromaire ne cache pas qu’il a débusqué chez Conrad un certain plaisir amer à souffrir "Donc, secoue ça". Il lui reproche ensuite d’avoir trop sacrifié à ses recherches sur la matière picturale et, comme on l’a lu plus haut, lui conseille une austère cure de dessin. On peut discuter la justesse du diagnostic, et surtout la validité du traitement, mais nous admirerons la passion que met Gromaire à tirer Conrad d’une mauvaise passe. "Cela ne t’empêche en rien de cultiver cette magnifique matière que tu possèdes. Au contraire, c’est une richesse et je t’ai dit, devant nombre de tes toiles, le bien que j’en pensais... Tu as du goût, du don, de la force de travail. Tu dois arriver... Et dis moi que tu t’es remis au travail" conclut-il.

Cette crise, née probablement du manque d’argent, ne fut pas aussi stérilisante qu’on aurait pu le craindre, à en juger par le nombre de paysages peints durant le séjour à Talou et aussi par leur qualité. A part deux ou trois recherches d’effets crépusculaires, du reste superbes et très osés techniquement, les œuvres que produit alors Conrad viennent d’une palette qui s’éclaircit progressivement ; elles recevront un accueil très favorable de la critique, attireront plus facilement l’admiration du public et plusieurs d’entre elles – mais un peu plus tard – trouveront des acquéreurs.

(1) : Lettre de Pierre Dubreuil à CK du 9 septembre 1921 (archives Gard-Kickert).
(2) : Lettre de Gromaire à CK des 7 juillet et 10 octobre 1921 (archives Gard-Kickert).
(3) : Lettre de Chris de Moor à CK du 1er août 1921 (archives Gard-Kickert).
(4) : Lettre de Pierre Dubreuil à CK du 9 septembre 1921 (archives Gard-Kickert).
(5) : Archives Gard-Kickert.

Haut de page
Imprimer la page

Association Conrad Kickert
Lucien et Anne GARD - Les Treize Vents - 15 700 PLEAUX