II - Cercle de l'art moderne  > Réveiller l'art moderne en Hollande

Kickert qui avait conservé à Zandvoort, en quelque sorte comme résidence secondaire, sa villa "Huize ten Duyne", gardait à l’esprit son pays natal, ses collègues néerlandais et portait le souci de les voir tenir leur place dans un art auquel la Hollande avait tant apporté dans le passé et particulièrement au long de ce qu’on appelle communément le Siècle d’or (1). Il constatait hélas que l’évolution dont on voyait à peine apparaître les premiers signes aux Pays-Bas, était accomplie à Paris depuis longtemps et déjà dépassée. Il avait le sentiment que la Hollande s’était enfermée dans une vie plate, des échanges étriqués et un quant-à-soi tristement provincial. Les peintres auraient dû s’y sentir pourtant les héritiers d’un Rembrandt qui avait introduit dans l’art des pensées neuves. Avec la fougue et la témérité de la jeunesse, il crut que l’atonie présente de l’art néerlandais n’était pas irrémédiable et qu’il devait se battre pour le réveiller, qu’il suffirait de fournir quelques doses de modernité pour tirer ses compatriotes de leur assoupissement. Il comprit beaucoup plus tard que la situation n’était pas aussi simple, mais sans attendre se lança de bonne foi dans une sorte de croisade. Il écrivit en 1909 : "L’influence des modernes français est de plus en plus pour l’instant fanée..." Et il conclut : "Nous pouvons gagner pourvu que nous restions hollandais et ne perdions pas ce que nos ancêtres nous ont laissé". D’ailleurs, rendant compte de l’exposition "Arti et Amicitiae" dans le TELEGRAAF du 18 avril 1908, il avait déjà tenté de rameuter ses collègues : "Vraiment, ne pourrait-il pas y avoir une nouvelle association d’artistes dont les œuvres et les expositions constitueraient des événements ? N’y a-t-il pas assez de solidarité entre des jeunes pour que leur action commune aboutisse à faire cesser cette cuisine insupportable des 'Grands' ?"

On le voit, l’intention de Conrad était d’agir au sein d’un groupe. Il ne pensait pas convaincre par ses écrits, mais participer à un mouvement et l’animer. Ses idées étaient partagées par quelques collègues, pourtant l’élan nécessaire manquait. Il y eut bien des colloques, des lettres sur le sujet, le tout sans suite pratique, jusqu’à ce qu’enfin Kickert prît l’affaire en main.

Il exposa son projet par une lettre du 4 août 1910 à Toorop en le priant d’accepter la présidence du mouvement à créer. Un choix judicieux puisque Toorop était le plus ancien et le plus connu des artistes qui essayaient de promouvoir une peinture plus moderne, tout en ayant conservé la réputation d’un homme sérieux. Un excellent porte-drapeau donc. Toorop répondit par une missive de quatre pages, datée de "Domburg, 20 août 1910". Il commença par rappeler les efforts qu’il avait faits personnellement à La Haye à partir de 1891 et 1892, dans le sens de ce que Kickert espérait réussir maintenant : notamment la présentation d’œuvres de van Gogh, puis les expositions du groupe des XX (un groupe international d’origine belge comportant vingt peintres) dont la dernière s’était tenue vers 1900, dans la salle d’un manège privé avec la vive opposition de la clique des peintres de La Haye. Il n’avait pas obtenu plus de succès précédemment à Amsterdam avec la participation de van Rysselberghe, Signac et Seurat. Néanmoins, vu les progrès de l’art en Europe, "et aussi parce que j’apprécie beaucoup que vous ayez pris l’initiative de créer avec quelques autres un salon d’Automne hollandais", il proposait de rencontrer prochainement Kickert avec Mondrian et Sluyters, Spoor, Mendes de Costa, pour mettre ensemble le projet sur pied en vue d’une première exposition, par exemple à l’automne 1911. Il continuait : "j’aimerais bien alors en tant qu’aîné, proposer avec discrétion la participation de van Rysselberghe, Signac (Seurat étant mort depuis), accompagnés de Maurice Denis, Maillol, Holder... et quelques autres jeunes". Dans ce cadre-là, finissait-il par conclure, "je veux bien, si du moins cela ne me prend pas trop de temps, car mon temps est très pris par tant de travaux, accepter la présidence et je n’économiserai aucune peine pour encourager cette conception internationale". Il tenait quand même à rappeler, avant de clore sa lettre, que ses efforts précédents avaient échoués par l’absence de collaboration des peintres hollandais qui avaient pris seulement en compte la possibilité de faire de l’argent, mettant, loin derrière, un but plus noble et ambitieux "tandis que je devais, moi, donner tout mon temps dans ces années-là au détriment de mon propre travail et rencontrer beaucoup d’indifférence et d’autres choses dont j’aime mieux ne pas parler". Il signalait aussi, en passant, "j’ai reçu récemment de Mondrian et Spoor une lettre au sujet du projet dont vous m’avez informé, projet que j’apprécie au plus haut point et par lequel je suis très attiré".

(1) : Le XVIIème siècle où vécurent Rembrandt van Rijn, Frans Hals, Jacob van Ruysdaël, Jan Steen, Pieter de Hooch et Johannes Vermeer.

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Association Conrad Kickert
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