VIII - Les réfugiés en Charente
> Echanges entre Conrad et l'ambassade
Il faut revenir à septembre 1940 et citer in extenso (1) le rapport que le baron van Pallandt établit à la suite de son inspection à La Partoucie :
"Vichy, 4 septembre 1940
La Partoucie, une maison qui
actuellement héberge un certain nombre de compatriotes et qui se trouve
sous la direction de Monsieur Conrad Kickert, ne remplit pas
complètement les exigences que l’on peut demander à une résidence
secondaire confortable. Située dans une région aride, peu habitée et
sans grandes beautés de la nature, la Charente, elle élève ses murs
crénelés de béton gris comme une parodie de l’esthétique aussi bien
médiévale que contemporaine, tandis que l’intérieur nu, sans
décoration, apparaît au visiteur comme un inconvénient qui semble au
premier abord ne pouvoir être surmonté.
Des 150 personnes à qui cette maison
avait été donnée comme refuge, il en reste encore une soixantaine.
Soixante plus ou moins sans espoir ; des gens pour qui le retour
au pays natal est exclu et qui d’ailleurs ne peuvent trouver une
hospitalité, – des gens qui ne peuvent rien faire d’autre que
d’attendre, attendre un futur plus doux qui visiblement est encore très
loin. Ce que l’on doit donner à ces gens avant tout, avant une vie
confortable matériellement, c’est un soutien moral, une aide pour
reconstruire leurs valeurs spirituelles, ce qui, dans un séjour en pays
étranger, étant donné les circonstances, est rendu particulièrement
difficile. La hantise de la persécution à laquelle ils sont exposés ou
se croient exposés, ne peut être maîtrisée que par une discipline
intérieure, par un sentiment de solidarité, par l’altruisme. C’est ce
que Monsieur Kickert a si bien compris dans l’organisation de la
communauté qui lui a été confiée. Les éléments hétérogènes qui forment
le groupe de réfugiés ont été judicieusement répartis par lui dans
différentes tâches, en tenant compte des capacités particulières de
chacun et afin que tous soient égaux – il n’y a pas ici de travail
moindre qu’un autre, de la tenue d’une conférence au nettoyage des
toilettes – . La discipline règne partout, presque comme dans une
caserne ; pourtant, et ceci est une des leçons que l’on remporte
d’une visite à La Partoucie, on a bien compris ici que la discipline
est indispensable non seulement pour rendre la vie possible avec tant
de gens ensemble, mais justement pour acquérir cette discipline
intérieure sans laquelle ces gens ne pourraient plus porter leur lot si
lourd. C’est pourquoi on voit dans cette maison des visages heureux
malgré les pertes qui les ont frappés et l’avenir sombre qui se profile.
Monsieur Kickert a accompli ici un travail de titan.
Le côté matériel de ce travail a été
exposé suffisamment par lui dans ses rapports, aussi je me contenterai
de quelques courtes observations.
Mon impression est que malgré les
difficultés de ravitaillement qui ont été considérables et le sont
encore, l’hiver est assuré. Il règne une bonne ambiance avec les
paysans des environs, et pour le sous-préfet de Confolens rien n’est
trop pour aider lorsque c’est nécessaire. C’est ainsi qu’il a mis à
disposition des poêles à bois en prévision du froid de l’hiver.
Le mobilier dans la mesure où il
existe, est très primitif et même, pour une grande partie, de bric et
de broc. Constamment on y travaille et dans quelques mois la maison
aura indubitablement une autre allure.
La cuisine se fait encore à
l’extérieur, mais avec peu de frais elle pourrait être déplacée. J’ai
demandé à M. Kickert d’envoyer un devis au Dr Sevenster qui m’a déjà
déclaré vouloir apporter sa collaboration dans ce but.
En ce qui concerne l’hygiène, elle
est l’objet d’un soin scrupuleux. La maison est, de la cave au grenier,
d’une propreté extrême et l’on s’aperçoit rapidement que l’on a affaire
aux vertus hollandaises.
Pour résumer, j’aimerais poser comme
principe que La Partoucie est plus qu’un abri fortuit pour réfugiés.
C’est une expérience. Et comme cette expérience, à mon avis, a toutes
les chances de réussir, j’applaudirais avec force pour que cette maison
soit conservée en l’état le plus longtemps possible. Probablement,
l’hiver apportera de nouveaux soucis – ailleurs la vie ne sera pas
facile non plus – et j’ai catégoriquement l’impression qu’ici on les
vaincra."
Floris van Pallandt, en envoyant à Kickert une copie de ce rapport, l’accompagna du mot suivant
(2) :
"Cher Conrad,
Après ma visite à La Partoucie, j’ai
fait un petit rapport auquel je n’ai pas grand-chose à ajouter. Tu fais
un travail magnifique et je me souviendrai longtemps de ma visite. Tu
auras une radio et de l’argent pour les travaux dans la cuisine, etc.
Envoie un devis à Sevenster. Hélas nous devons quitter la France. "On
nous a foutu à la porte !" [en français dans le texte]. Enfin, la
vie continue et la tienne aussi changera.
Conrad, mon cher ami, cela m’a fait du bien de te revoir et de te serrer la main.
Que Dieu te garde."
(1) : Original en néerlandais du 4 septembre 1940 adressé à la légation
des Pays-Bas, copie envoyée à CK (archives Gard-Kickert).
(2) : Lettre de Floris van Pallandt à CK début septembre 1940 (archives Gard-Kickert).
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