VII - L'étau financier se desserre > Expositions à l'étranger
Pendant ce temps, plusieurs expositions avaient eu lieu auxquelles
Kickert envoya des œuvres. Du 1er avril à fin août, se tint en
Grande-Bretagne (Nottingham, Londres et Swansee) une exposition d’art
contemporain de Paris 1939, placée sous le patronage de l’ambassade
anglaise à Paris et de l’association France-Grande-Bretagne. Le
commissaire général en était G. Manoury, un expert près le tribunal de
commerce de la Seine. Des négociations avaient été engagées avec les
principaux musées d’Australie et de Nouvelle-Zélande pour qu’ils
accueillent et présentent à leur tour ces œuvres. Kickert fournit "le Pont du Tarn" (1).
La toile fut enlevée par Robinot le 27 février et, arrivée à Londres,
confiée aux soins de la succursale anglaise de la maison Chenue. Tout
ceci montre une organisation de qualité et faisait espérer un plein
succès pour ces expositions. La guerre mit à néant ces projets et les
tableaux repassèrent la Manche avant la fin de l’été.
Au long de la seconde quinzaine de mai, l’excellente galerie Mignon-Massart présenta, à Nantes (2), des œuvres d’Othon Friesz, Osterlind et Conrad qui y rencontrèrent un beau succès (3). De Kickert, la critique signala notamment le paysage intitulé "Florac" (4)
qui eut l’honneur d’être reproduit, deux natures mortes de fleurs et un
portrait. Ce succès mobilisa la Société des amis du musée des
beaux-arts de Nantes dont le secrétaire écrivit à Kickert (5)
que leur comité réuni le 1er juillet avait "approuvé à l’unanimité la
proposition d’achat d’une de vos œuvres que nous lui avons faite" et
précisait : "Comme il ne nous a pas été possible de réunir notre
Comité pendant votre exposition et que d’ailleurs nous avons eu le
plaisir de constater que les œuvres les plus importantes avaient été
vendues, nous nous permettons de vous demander d’accepter ceci :
M. Lanoë, notre président, à l’occasion d’un voyage à Paris, prendra
rendez-vous avec vous dans votre atelier pour le choix d’un tableau que
nous aurons la grande satisfaction de faire entrer au musée de
Nantes...". Les événements ayant pris une tournure dramatique avant la
rentrée de septembre, ce projet n’eut pas de suite non plus.
Le seizième salon des Tuileries eut lieu du 2 juin au 9 juillet et accueillit cinq toiles de Conrad (6),
soit un nu, un paysage, et trois marines dont une seule remontait à
l’année précédente (tandis que les quatre autres œuvres dataient de
1939).
En août, Kickert participa à Putten (7), au Centre d’art d’Olde Deel, à une "Exposition française" où un Néerlandais, le peintre Dorus Roovers (8)
avait réuni autour de lui six peintres : Friesz, Gromaire,
Osterlind, Utrillo, Vlaminck et... Conrad. En fait, Kickert ne se
déplaça pas et y fit envoyer par les bons soins de Jan et Har Hoven,
beau-frère et sœur de Gée, des toiles qu’il avait laissées chez eux
"pour avoir une petite chance de les vendre". On ignore si elles furent
vendues, car Conrad n’en eut jamais de nouvelles. Elles avaient été
cependant exposées et obtinrent de bonnes critiques. Celle notamment
d’un journaliste néerlandais qui vanta "l’identification" de Kickert
avec le paysage et son ambiance. Plus haut, ce critique s’était attaché
au problème qui passionne tant les Néerlandais : cette peinture
française ne se rattache-t-elle pas, d’une façon ou d’une autre, à
l’art néerlandais ? Il se demandait : "les natures mortes de
Conrad sont-elles loin du XVIIème siècle ?" Ce lien fait entre le
Siècle d’or de la peinture hollandaise et son propre travail, dut faire
plaisir à Conrad. L’auteur ne se contentait pas de ce butin et
rapprochait Gromaire et Vlaminck des gothiques flamands, ce qui n’était
pas si mal vu, du moins pour Gromaire. L’exposition fut envoyée ensuite
à Groningue, à l’extrême nord des Pays-Bas où elle fut présentée du 8
au 22 octobre dans une galerie créée en l’an 1832 (9). Elle se trouva pour la circonstance, enrichie d'œuvres de quatre peintres supplémentaires, tous néerlandais.
Kickert n’alla ni à Putten, ni à Groningue, Titanne non plus bien
qu’elle séjournât à Amsterdam chez sa tante Har Hoven depuis le mois de
juillet. A partir de la déclaration de guerre, son souci et celui de
son père la conduisirent régulièrement au consulat de France pour
obtenir un visa permettant son retour à Paris. Elle s’était rendue aux
Pays-Bas avec son passeport néerlandais, le seul qu’elle pouvait
détenir puisqu’elle était née à Paris, certes, mais de parents
hollandais. A cette époque le droit du sol ne s’imposait pas comme
maintenant (10). Le consulat
de France, tout en l’assurant que les démarches suivaient leur cours,
se demandait s’il était sage d’envoyer dans un pays en guerre, la
ressortissante d’un pays neutre ! Conrad, en revanche,
s’inquiétait pour sa fille, car, instruit par le partage de la Pologne
entre Nazis et Soviétiques, il craignait que les Allemands
n’envahissent la Hollande sans préavis. Ses amis néerlandais jugeaient
cette éventualité impossible. Kickert résolut donc de se tourner vers
ses amis français et s’en ouvrit à Pomaret. Celui-ci était alors
ministre du travail, un portefeuille d’importance dans un gouvernement
issu du Front populaire et dont le titulaire jouissait de ce fait d’une
grande considération. Pomaret se trouvait de plus être lié d’amitié
avec le sous-secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, et le saisit
aussitôt du problème. Ce dernier décida que le plus rapide et le plus
efficace était de passer par la voie télégraphique, c’est-à-dire la
ligne directe entre le ministère et les postes diplomatiques à
l’étranger. Les messages étaient obligatoirement chiffrés et ne
comportaient que le strict nécessaire. Dans le cas particulier, il fut
simplement enjoint au consul général de France à Amsterdam, de délivrer
sans délai à mademoiselle Kickert le visa d’entrée en France qu’elle
avait sollicité, de faciliter son départ si besoin était, puis de
rendre compte. Le lendemain matin, un messager du consulat vint la
prier de s’y rendre au plus vite. Elle s’y rendit, mais rien ne se
déroula cette fois-ci comme d’habitude. L’agent consulaire
l’apercevant, passa un bref message par le téléphone intérieur, puis
vint la prier de le suivre chez M. le consul. Ayant ouvert une porte
fermée à clef, il la fit passer dans un vestibule de la résidence
consulaire d’où partait un large escalier recouvert d’une moquette
bleu-roi. Elle en avait à peine gravi quelques marches qu’un homme
descendu à sa rencontre lui remit cérémonieusement son passeport en
demandant en néerlandais de quelle façon elle souhaitait partir. Elle
répondit en français qu’elle allait attraper le premier train pour
Paris. Cela parut décontenancer M. le consul qui resta un moment
silencieux, puis décida de la saluer d’un "bon voyage Mademoiselle" et
la rendit d’un geste aux bons soins de son collaborateur des visas. Jan
Hoven réussit à joindre Conrad par téléphone et lui annonça qu’il avait
accompagné sa fille, munie de son visa, à la gare d’Amsterdam. Lorsque
Kickert accueillit celle-ci à son arrivée gare du Nord, il ignorait
encore s’il devait son retour à Pomaret, mais en devint certain
lorsqu’il apprit les prévenances du consul général. Mais Titanne ne
comprenait pas pourquoi son voyage avait soulevé tant de complications.
(1) : "Le Pont du Tarn" 1936 (73 x 92 cm) Opus 36-19.
(2) : Rue Boileau, n° 10 ; et rue du Chapeau-Rouge, n° 7.
(3) : Cf. l’article de A. Gavy-Bélédin (archives Gard-Kickert).
(4) : "Florac" ou "Salièges" 1936 Opus A.36-20.
(5) : Le 7 juillet 1939 (archives Gard-Kickert).
(6) : N° 330 du salon : "la Malade" 1939 (73 x 60 cm) Opus 39-18 ;
N° 331 du salon : "Quiberon" 1938 (97 x 130 cm) Opus 38-01 ;
N° 332 du salon : "Plage de Vaucottes" 1939 (60 x 73 cm) Opus A.39-58 ;
N° 333 du salon : "Quimperlé" 1939 Opus A.39-65 ;
N° 334 du salon : "Entre Yport et Fécamp" 1939 Opus A.39-70.
(7) : Petite ville des
Pays-Bas, à 17 km au nord-est d’Amersfoort et 10 km au sud d’Hardewijk,
à la limite de la région boisée du Veluwe.
(8) : Il était aussi, semble-t-il, le propriétaire de la galerie.
(9) : Kunstlievend Genootschap Pictura, au numéro 1 de la Saint-Walburgstraat, Groningen (NL).
(10) : La nationalité française était réservée "aux personnes nées en France d’un père qui y était lui-même né".