VI - Talent reconnu > Réforme contestée du Salon des Indépendants
Dans les premiers jours de novembre le comité du salon des Indépendants
avait pris, en vue du salon suivant, la décision, à la majorité de dix
voix contre cinq (1), de
présenter les œuvres, non plus par groupement de tendances mais par
groupe de nationalités, sans renoncer pour cela à l’ordre alphabétique.
Le nombre d’exposants étrangers, passé de 235 en 1920 à 734 en 1923,
était la raison principale de cette décision qui, selon le président
des Indépendants, Paul Signac, était appliquée dans tous les musées du
monde sous le nom de classement par école.
Les protestations s’élevèrent de tous côtés : Fernand Léger envoya
une lettre de démission et la communiqua à la presse ; Raoul Dufy
déclara qu’il n’exposerait plus dans ces conditions. A l’assemblée
générale des Indépendants, le 10 novembre (2), Foujita et Kickert prirent la parole au nom des peintres étrangers. André Warnod nota (3)
: "Plusieurs vérités furent dites. Lorsque M. Kickert, par exemple,
évoqua le souvenir de van Gogh, de Pissarro, de Sisley etc. dont aucun
d’eux n’était français, il fallut bien convenir que ces peintres, les
derniers surtout, sont devenus essentiellement de chez nous". Warnod
eut d’ailleurs quelque mérite à relever cet argument, car, à en croire
la presse, cette réunion se déroula dans le tumulte. Il y fut
finalement annoncé que la question du placement était du ressort du
comité, que l’assemblée n’avait pas à en débattre et que la décision
prise serait maintenue.
Réunis à la Closerie des lilas,
les protestataires décidèrent d’envoyer à Signac une délégation
composée de Barat-Levraux, Kickert et Laboureur. Mais ce fut en vain.
Pourtant les chroniqueurs artistiques se montraient en général réservés
sur la mesure prise qu’ils jugeaient préjudiciable au prestige et à
l’intérêt du salon des Indépendants et surtout contraire à son principe
de liberté absolue. Seul Tabarant (4)
estima que cette réforme faciliterait "le travail de la critique,
laquelle pour la première fois devra tenir compte du coefficient
national et ethnique, plus important que jamais". Il écrivait cela d’un
point de vue purement esthétique et qualifia de "détestables" les
accusations de nationalisme, de xénophobie voire d’antisémitisme que
soulevait cette mesure et qu’accueillaient avec une complaisance
excessive, selon lui, les artistes étrangers. Conrad tiqua sur le mot
"détestables" et écrivit une lettre privée à Tabarant pour justifier
les opposants à la ségrégation. Il ressortit de la réponse de Tabarant (5)
que, sans être convaincu par les raisons de Kickert, il faisait bien la
différence entre les arguments de ce dernier et ceux que des artistes
étrangers lui avaient opposés au Café de la rotonde.
"J’en ai bien ri, car le vieil internationaliste que je suis peut se
dispenser d’y répondre". Cela suffit peut-être à Kickert qui, s’il
était d’un groupe, relevait plutôt de la Closerie des lilas.
(1) : D'après Charensol in
Paris-Journal du 18 (?) novembre 1923, les cinq opposants étaient MM.
Luc-Albert Moreau, (vice-président), Fernand Léger, André Lhote, Yves
Alix, Jean Marchand.
(2) : Réunion qui se tint dans la salle de la Société de géographie, boulevard Saint-Germain.
(3) : In Comœdia du 12 novembre 1923.
(4) : Sous le pseudonyme de l'Imagier, in l'œuvre du 4 décembre 1923.
(5) : Archives Gard-Kickert.