VI - Talent reconnu  > Tentative du "Salon unique"

Au salon d'Automne (1) les sociétaires avaient par roulement, en fonction d’un tirage au sort, le droit d’envoyer jusqu’à six toiles. Ce fut le cas de Kickert cette année-là et il saisit cette opportunité. Curieusement, il exposa une seconde fois le double portrait présenté au même salon en 1925, où il n’avait pas rencontré un franc succès. Espérait-il une revanche ? Il ne l’obtint pas. Sympathiquement citée par l’un (2), l’œuvre est sévèrement critiquée par l’oracle Thiébault-Sisson qui avait fait silence l’année précédente mais voulut sanctionner la récidive (3) : "Salle IX. C’est Conrad avec un ensemble copieux de natures mortes, de paysages, de marines et de portraits. Ces derniers ne valent pas grand’chose. L’insuffisance des études préalables y éclate, en dépit des artifices de facture qui en alourdissent inutilement le métier". Puis il continua : "j’ai vu de l’artiste beaucoup mieux en fait de natures mortes". Il avait, on s’en souviendra, qualifié une de celles du salon des Tuileries de 1925, de "morceau de virtuose" et loué celles des Tuileries 1926. La nature morte dont il s’agissait cette fois-ci reçut néanmoins de la part d’autres critiques un excellent accueil pour "sa jolie substance" (4) et même pour "sa virtuosité peu commune" (5) et parce qu’elle était "si pleine, si savoureuse" (7). Mais revenons à Thiébault-Sisson qui poursuivait selon une savante gradation : "Il se relève dans le paysage"7  ; "Il est supérieur à lui-même dans la marine" (8). Les autres commentateurs s’en tinrent à un jugement favorable sur l’ensemble du panneau (9), sur la technique du peintre (10), sur son dessin (11), sur ses dons de coloriste (12). Il y eut comme toujours un éreintement, nécessaire après tout pour faire mieux ressortir les louanges des autres critiques ; le Crapouillot (13) s’en chargea en ces termes : "M. Conrad Kickert s’est donné la tâche de conquérir une palette puissante comme d’autres se font les muscles chaque matin. Il est régulier, brillant et méticuleux comme un acrobate professionnel et un bon fonctionnaire".

Au long de l’année, outre les trois salons auxquels Kickert avait participé, Paris en offrait deux autres : celui des "Artistes français" et celui de la "Nationale" (14). Cela faisait beaucoup pour le public et pour les critiques, ce qui fit naître l’idée de rassembler toutes ces présentations et de retrouver le salon proprement dit, celui de Diderot et de Baudelaire. Le Bulletin de la vie artistique entreprit à ce sujet une enquête auprès des artistes. Arsène Alexandre en rendit compte (15). Il retint les réponses de trois peintres, van Dongen, Charreton, Kickert, et il conclut que ce dernier avait fait la seule proposition sérieuse et pratique. Le projet de Conrad comportait en fait deux salons : l’un au printemps, l’autre à l’automne où se manifesteraient, côte à côte, les modérés et l’avant-garde. Les modérés se soumettraient à un jury d’admission et pourraient obtenir des médailles. L’avant-garde se placerait sous le régime déjà en vigueur aux Indépendants, dont la devise était "ni jury ni récompenses". La suggestion de Conrad ne passa jamais dans les faits. Le Salon unique se tint en une seule et triste circonstance, l'année 1940.

Du côté des Pays-Bas, cependant, le second semestre n’avait rien apporté de positif. Kickert, que les expériences précédentes auraient dû instruire, s’était mis en tête, à l’automne 1925, d’offrir un de ses tableaux au musée Frans-Hals de Haarlem. Cette initiative lui valut un refus quatorze mois plus tard (16). Une consolation toutefois, en fin d’année : J.H. de Bois, séjournant à Paris, vint voir Conrad. Ami fidèle et chaleureux, ses visites étaient d’autant plus agréables qu’il avait, des choses et des gens des Pays-Bas, une vision que sa culture et sa liberté d’esprit rendaient pénétrante et originale. De plus, le 30 décembre il acheta une toile à Conrad (17).

(1) : Ouvert le 4 novembre 1926.
(2) : Pierre Ladoué in l'Art et les artistes de décembre 1926.
(3) : In le Temps du 4 novembre 1926.
(4) : Veau in la Griffe du 30 décembre 1926.
(5) : Matthieu Claudet in la Tribune de Genève.
(6) : J. Guenne in l'Art vivant du 5 novembre 1926.
(7) : "L'Arbre au château Saint-Paul" 1925 (100 x 73 cm) Opus 25-16.
(8) : "Plage de l'île d'Yeu" 1926 (60 x 73 cm) Opus 26-17.
(9) : Un panneau qualifié "d'important" par Martin in Paris-Soir du 5 novembre 1926.
(10) : Raynal in l'Intransigeant du 10 novembre 1926 : "les savantes cuisines de Conrad".
(11) : Vauxcelles in l'Excelsior du 8 novembre : "Je louerai le trait musclé de Capon, Iser, Kickert" ; Alexandre in le Figaro du 8 novembre "la robustesse de CK".
(12) : Soubeyre in la Nouvelle Revue du 1er décembre. Vanderpyl in le Petit Parisien du 4 novembre : "...Kickert dont l'originalité et la fastueuse palette sont indiscutables".
(13) : Dans son numéro de novembre, article de L. Benoist.
(14) : Pour "Société nationale des beaux-arts". Son salon passait pour le temple de l'académisme.
(15) : In la Renaissance du 25 septembre 1926, un compte-rendu en partie infidèle.
(16) : Lettre de van Deene à CK du 25 septembre 1925 et celle du 25 novembre 1926 où est recopiée la lettre de M. Gratama, directeur du musée, datée de la veille 24 novembre.
(17) : Lettre de J.H. de Bois à CK du 12 février 1927.

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Association Conrad Kickert
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