VI - Talent reconnu  > Fin de l'aventure de la Galerie d'Art français

En dépit de sa présence dans de nombreuses et bonnes galeries où Conrad pouvait se produire librement puisqu’il n’était lié à aucune, les ventes ne suivirent pas. Des mois pénibles se succédèrent, où se cumulèrent deuil (la mort de son père le 27 février), faux espoirs et déceptions. La dernière en date avait été le passage à Paris de van Kinshot, venu avec l’intention d’acheter une nouvelle toile à Kickert et qui s’en était allé sans même lui rendre visite (1). Van Deene ne vendait rien non plus et ses tentatives pour étendre ses affaires au courtage d’œuvres de maîtres et y intéresser Kickert étaient reçues par celui-ci avec lassitude. En revanche, Conrad se prit à croire qu’une bonne solution à ses ennuis serait de faire vendre de ses œuvres aux enchères aux Pays-Bas. Il en avait sélectionné huit dans ce but, sur le stock en dépôt à la Galerie d'art français. Van Deene s’enquit des possibilités, certain d’avance qu’il n’y en avait aucune et indiqua à son ami, après consultation de plusieurs commissaires-priseurs, qu’il obtiendrait difficilement dix florins par toile (2). Etant donné que parmi ces œuvres (3) figuraient "les Tulipes et les citrons" (4) de 1919, "le Matin d'été" (5) de 1921, "la Grange" (6)  de 1922 et "Printemps" (7) de 1923, on devinera l’amertume de Conrad. Finalement, pour répondre à une injonction plusieurs fois réitérée, van Deene n’eut plus qu’à lui renvoyer la totalité de son stock dès qu’il eut un peu d’argent pour acheter les cartons et les cordes nécessaires à l’emballage (8). Toutefois, en guise de cadeau d’adieu, Kickert lui avait demandé de conserver "le Matin d'été". Telle fut, pour Conrad, la fin de l’aventure de la Galerie d'art français.

Kickert et Osterlind passèrent à Moret-sur-Loing les premières semaines du printemps, pour y travailler (9). Deux peintres japonais, de bons vivants, qui s’y trouvaient peut-être sur les conseils d’Osterlind, complétaient le groupe. Mais Conrad, pour travailler sans être distrait, les évitait autant qu’il le pouvait. A l’Hôtel du Loing, en face du bateau-lavoir, il occupait une petite chambre et avait la disposition d’un local qui pouvait lui servir d’atelier. Les clients profitaient d’une arrière-salle avec un billard et un phonographe. Le patron faisait le service (en short bleu !) pour les Japonais impeccables et pour Conrad en bas de grosse laine à revers et veste à martingale un peu fatiguée, comme un hobereau du voisinage venu traiter quelques affaires en ville.

Le temps fut épouvantable. Pour s’abriter – ou plutôt abriter sa toile – si ce n'est du froid ou du vent, au moins de la pluie, Conrad fut un jour obligé de travailler sous une arche du viaduc de Saint-Mammès. Mais il brava les intempéries pour peindre le canal, le pont sur l’Orvanne, les bords du Loing, le Wharf, une vue générale de Moret ou encore des champs, un chemin creux, un saule... Les maisons et les rues du vieux Moret ne l’inspirèrent pas assez pour peindre sous le regard des passants, ce qu’il détestait faire. Les Japonais firent la foire le jour de leur départ avec quatre ou cinq modèles venus exprès de Paris.

Kickert ne s’autorisa qu’une courte visite de Gée, lorsque la séparation les eut trop privés l’un de l’autre. Cependant, à la même époque, Gée ne put s’empêcher, dans une lettre à son mari (10), d’exprimer sa souffrance de l’égoïsme qu’il manifestait dans la vie quotidienne. Elle était en effet à plaindre sur ce point, même si l’on sait que les femmes et les enfants d’artistes ont à subir, outre les défauts propres à leur mari et père, les effets du souci permanent, et en quelque sorte viscéral, que l’artiste porte à son œuvre, ou plutôt dont son œuvre l’assiège. Certes Gée supportait stoïquement les privations et l’inquiétude du lendemain, mais pas cette obsession du peintre qui la tenait dans une sorte d'isolement.

(1) : Lettre de van Deene à CK du 23 mars 1927.
(2) : Lettre de van Deene à CK du 21 avril 1927. Cela correspond à 60 € par toile.
(3) : Extrait de la sélection notée par CK sur une liste de ses œuvres en dépôt à la Galerie d'art français, annexée à la lettre de van Deene à CK du 23 mars 1927 (archives Gard-Kickert).
(4) : C'était la toile que le musée de Haarlem avait refusée en novembre 1926 :
    "les Tulipes et les citrons" 1919 (81 x 100 cm) Opus 19-03.
(5) : "Le Matin d'été" 1921 (81 x 100 cm) Opus A.21-22.
(6) : "La Grange" 1922 (100 x 81 cm) Opus°22-05.
(7) : "Printemps" 1923 (60 x 73 cm) Opus 23-01.
(8) : Dix-neuf toiles furent expédiées d'Amsterdam le 23 mai pour Paris. La lettre de van Deene à CK (archives Gard-Kickert) du 25 mai 1927, donne la liste de ces œuvres et précise que "la Plage de Touanau, un quarante figure" a été conservée pour être remise à M. Naezer en remerciements de ses bons offices (cf. supra année 1924, pp. 186-187, et la note 12) :
    "la Plage de Touanau" 1923 (81 x 100 cm) Opus A.23-37.
(9) : Sur le séjour à Moret, 77250 Moret-sur-Loing (Seine-et-Marne), cf. correspondance entre Gée et CK (archives Gard-Kickert).
(10) : Non datée, envoyée de Paris à Moret.

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