VI - Talent reconnu  > Kickert ou Conrad ?

A Paris justement ses relations l’appelaient déjà Conrad, tout court, et le nom de Kickert n’ajoutait rien à Conrad. Mais, aux Pays-Bas, Conrad dépouillé de Kickert montrerait un homme neuf, qui ne devrait rien à la Hollande et qui priverait la Hollande de le faire sien, que ce fut pour le dénigrer aujourd’hui ou pour en tirer fierté plus tard. Dans cette vue, faire disparaître le nom de Kickert, paraissait aussi simple qu’efficace, si l’on omettait de mesurer le poids de l’habitude. Or l’habitude contraria la manœuvre. Dans les journaux de la fin de 1927, il resta Conrad Kickert pour les critiques avertis, Conrad "le plus parisien des Hollandais", pour ceux qui aimaient les clichés, et Conrad tout court, pour le chroniqueur qui note précipitamment des signatures sur son calepin. Du reste les critiques les plus connus se contentèrent de parler de la toile envoyée par lui au salon d'Automne (1). Non pas qu’ils voulussent ainsi lui témoigner quelque froideur mais parce qu’ils évitaient par principe de mêler leur nom à une manifestation patronnée par un marchand de tableaux (2). Pourtant Paul Fierens qui avait parlé du "placide" Conrad à propos du salon d'Automne – un qualificatif dont le peintre lui reprocha l’impropriété – eut à cœur (3) de consacrer des lignes élogieuses à son exposition chez Bernheim (4) : "Il a trouvé entre le ciel nuageux et la terre grasse, des accords d’une plénitude remarquable. Son art s’est équilibré naturellement ; on n’y sent ni l’artifice, ni l’effort. Conrad nous montre aujourd’hui des tableaux dont la surface est amplement couverte, où chaque touche nous paraît sentie et dont l’émotion se développe en profondeur". Le mot "placide" n’en évoquait pas autant, certes, mais un tel souci de l’équité, chez un critique, doit être salué.

Rendirent compte également des deux manifestations, Arsène Alexandre (5) qui trouva dans chaque endroit Conrad "vigoureux" ; et Bouyer qui, dans le paysage du Grand Palais vit "un village ombragé", et dans les vingt-cinq toiles exposées chez Bernheim, des "verdures villageoises" (6). La galerie, outre les paysages, montrait pourtant des marines et quelques figures. Ces dernières frappèrent Fosca (7) qui signala : "la vue d’un potager où sous un ciel pesant et gris, une femme en rouge cueille des fleurs, ainsi qu’une étude de femme en corsage rouge". Le sentiment de la nature est loué chez Kickert (8), mais les éloges vont surtout à sa riche matière et à son beau métier (9), aux harmonies de sa couleur (10). Le critique anonyme de la revue la Renaissance (11) s’élevant jusqu’à une appréciation générale jugea l’artiste "honnête, sûr de ses moyens et auquel il ne manque pour paraître au premier plan qu’un supplément d’originalité qu’il peut parfaitement acquérir". Il le recommandait aux amateurs "de peinture solide, sérieuse" qui devaient trouver en lui "le peintre de la mesure et de la sobriété". Toutefois, Charensol (12) prit Conrad (et un complice, le peintre Charlemagne) en flagrant délit d’utilisation du couteau à palette. Le critique attribuait l’invention de cet instrument à Segonzac, qui ne s’en servait du reste selon lui que "pour restituer aux corps leur densité plastique" et il s’indignait de le voir manié par Conrad et Charlemagne dans le seul but "de manifester une virtuosité tout au plus capable d’impressionner quelques badauds". Charlemagne obtenait tout de même les circonstances atténuantes, mais lui seul, car il possédait "un sens de la matière et de la couleur qui fait totalement défaut à Conrad". Segonzac qui, lui, avait entendu parler de Courbet et de son travail au couteau, dut bien rire.

(1) : Au catalogue du salon sous le n° 454 : "Un Arbre au dessus du toit" 1927 (73 x 100 cm) Opus A.27-22, œuvre exposée ensuite à Pittsburgh (USA) où elle fut vendue.
(2) : Ils s'étaient relâchés de cette dure règle pourtant lors de l'exposition de CK chez Barbazanges en 1923. Mais la galerie Barbazanges était presque aussi considérée qu'un musée !
(3) : Lettre de P. Fierens à CK du 11 novembre 1927 (archives Gard-Kickert).
(4) : In le Journal des débats des 4 puis 12 novembre 1927.
(5) : In le Figaro du 5 novembre 1927.
(6) : Dans le même numéro de la Revue de l'art (décembre 1927).
(7) : In l'Amour de l'art de décembre 1927. La "femme en rouge" ne pouvait être que Gée, souvent peinte par CK dans un tel costume.
(8) : Montpar in la Semaine à Paris du 12 novembre et Pierre Muller in Paris matinal du 19 novembre 1927.
(9) : Par Montpar et Pierre Muller de nouveau; en outre, C.J. Gros in Paris-Midi du 12 novembre, deux auteurs anonymes in Dernières nouvelles des arts du 12 novembre et in le Carnet de la semaine du 13 novembre, enfin C.R.M. initiales qui désignent probablement Claude Roger-Marx in Chantecler du 20 novembre 1927.
(10) : De nouveau in Paris-Midi et in le Carnet de la semaine.
(11) : Du 9 décembre 1927.
(12) : In Art vivant du 16 novembre 1927.

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