III - Conrad collectionneur  > Conrad Kickert mécène

A cette époque, Kickert cessa d’écrire régulièrement des critiques d’art comme il l’avait fait depuis 1904 au Haarlemsch Dagblad, puis dans le Telegraaf de 1906 à 1908, enfin dans la revue de Kunst de 1908 à 1911. Il reprendra cette activité d’une façon moins suivie quelques années plus tard au profit du Groene Amsterdammer et enfin à partir de 1955 dans Het Vaderland.

Il continuait à acheter de la peinture, moins pour satisfaire un goût de collectionneur que pour pratiquer un mécénat. Il encourageait par ses achats des peintres dont le talent lui paraissait remarquable et dont les efforts tendaient à une expression nouvelle. De plus, il parlait d’art avec eux, affirmant ses idées personnelles qu’il approfondissait et enrichissait parfois de leurs propres recherches. Il passait amicalement au crible leurs expériences, les réconfortant devant leurs désillusions ou leurs doutes. Ainsi l’argent qu’il consacrait à leurs œuvres ne correspondait pas à l’acquisition d’un bien de même valeur, mais servait de véhicule à des échanges plus profonds entre chacun d’eux et lui. Sa collection devint petit à petit assez importante pour qu’elle soit citée plus tard dans l’ouvrage de F.M. Huebner "L’art moderne dans les collections privées des Pays-Bas" (1), qui signale chez Kickert des toiles de Mondrian, Schelfhout, Alma, Le Fauconnier, Léger, Herbin. Aucun artiste ne bénéficia plus que Le Fauconnier des achats de Conrad, qui avait pour lui de l’admiration et du respect tandis que Le Fauconnier pour sa part, se complaisait à jouer un rôle de mentor vis-à-vis de Conrad, bien qu’il eût seulement un an de plus que lui.

A cette époque, les cubistes se rattachaient à deux branches que, pour résumer, on désignait comme le Cubisme de Montmartre (Braque, Picasso) et celui de Montparnasse. De celui-ci, Le Fauconnier était le théoricien, le chef de file et le modèle. Kickert possédait de lui des œuvres majeures comme "L’Abondance", "le Chasseur", la "Femme au miroir", le "Portrait de Maroussia" (qui n’était autre que la femme de Le Fauconnier, elle-même peintre), peut-être une douzaine de toiles en tout.

Kickert jugea les théories cubistes comme valant d’être essayées. En 1911 et 1912 il peignit donc des toiles cubistes. Il exposa l’une d’elles sans s’attirer de compliments, on l’a vu, au MKK de 1912.

Ne pas être apprécié du public était pour Conrad assez secondaire, la vraie difficulté vint de ce que lui-même n’appréciait pas vraiment ce qu’il faisait. Les cubistes avaient pris à bras le corps des problèmes essentiels et ils leur avaient donné des solutions radicales qu’ils jugeaient définitives. Or Conrad, en peignant des toiles cubistes, n’avait pas cessé de considérer les mêmes problèmes et, pour les résoudre, d’interroger les grands maîtres du passé. Leurs œuvres lui confirmaient leur sincérité, leur modestie, leur acharnement au travail et surtout leur exigence quant au résultat. Et il sentit que le Cubisme n’avait apporté qu’une réponse partielle aux questions posées, donnait une part trop grande à la théorie, freinait les recherches vers l’interprétation de la réalité sensible et, plus généralement, vers la compréhension d’un monde où l’artiste se devait d’éclairer et de guider ceux qui, sans être des artistes, sont pourtant ses semblables. Une conception si élevée de sa mission avait peu de chances d’être comprise et moins encore de l’être par ses collègues. On ne peut que conduire au découragement ceux qu’on invite à rechercher un absolu, puisqu’inaccessible par nature. Etonnantes apparaîtront ces interrogations fondamentales chez Kickert. Il n’y a pas d’explication à cela, sauf peut-être que l’essentiel de ses pensées et de ses efforts, en dépit de ses talents variés, était tourné vers son travail de peintre, une vocation qu’il jugeait noble entre toutes et qu’il voulait servir avec le dévouement et le désintéressement qu’elle méritait.

(1) : Paru à Leipzig en 1921, chapitre II.

Association Conrad Kickert
Lucien et Anne GARD - Les Treize Vents - 15 700 PLEAUX