XI - Synthèses  > Collègues et amis

Dès le titre de ce chapitre, une question se pose. A propos du personnage de Conrad tel qu’il se manifesta à ses proches amis ou à ses relations, faut-il l’appeler Conrad ou bien Kickert ou encore, avec une formulation complète, Conrad Kickert ? Et dans ce dernier cas, avec ou sans trait d’union ? Dans les pages de la présente biographie, nous avons alterné les deux dénominations : Conrad ou Kickert, parce que nous n’avons pas voulu choisir, certes, mais aussi pour éviter l’usage répétitif du même nom. Le responsable de cette indétermination est le peintre lui-même. Il signait ses œuvres de son prénom pour ne pas choquer son père ; il voulait en outre se libérer du milieu artistique contemporain des Pays-Bas, contre lequel il avait des griefs et où il était connu sous son patronyme (1). Il est certain que pour les quelque soixante ans qu’il passa à Paris et y travailla, son prénom suffit à le désigner. Mais le nom de Kickert le rattachait à un passé familial auquel il tenait beaucoup, qui a inspiré son comportement, certaines de ses conceptions et de ses attitudes. Il faut espérer que son œuvre prendra, au fil du temps, la place qu’elle mérite et ce seront ceux qui l’apprécieront qui en baptiseront l’auteur. Il n’y aura rien à dire sur l’usage qui s’imposera. Nous ne savons pas pourquoi nous parlons d’un Rembrandt devant une œuvre de van Rijn, et d’un van Gogh à propos d’une toile de Vincent, alors que nous n’aurions pas l’idée de parler d’un Albrecht à propos d’un Dürer, ni d’un Sanzio pour un Raphaël. Souhaitons seulement que l’œuvre de Conrad Kickert devienne familier à beaucoup, que ce soit sous un nom ou sous un autre.

Ses collègues français l’appelaient en général Kickert. Ceux qui étaient devenus des amis préféraient Conrad, appellation qui retrouvait pour eux la chaleur d’un prénom. Cette intimité n’empêchait pas les brouilles qui étaient en général passagères et suivies de réconciliations émouvantes. Conrad s’est brouillé souvent avec ses meilleurs amis. L’estime qu’ils lui inspiraient justifiait ses coups de colère ou ses coups de froid : "je ne peux pas admettre qu’un homme comme vous pense ceci... ou dise cela !". Assez vite on s’apercevait que la dispute compliquait terriblement la vie et perturbait celle de tout un groupe, et tout s’arrangeait. Kickert est ainsi resté lié profondément avec Marcel Gromaire de 1912 à sa mort, c’est-à-dire pendant cinquante-trois ans. Comme Gromaire flirtait avec les communistes et, en peinture, était resté fidèle aux théories cubistes, cela faisait de beaux sujets de disputes que leur longue amitié n’a jamais fini d’épuiser. Mêmes liens avec Klein qui de plus était hollandais. Il s’agit de Fred, le père du célébrissime Yves Klein. Là les litiges étaient rares, parce qu’il était impossible de se disputer avec Fred Klein, sa bonhomie et sa bonté étaient intarissables. Il faut aussi évoquer Pierre Dubreuil, Anders Osterlind, Gérard Cochet, Jean-Eugène Bersier, Georges Lecaron, Jacques Thévenet, Laboureur, Goerg, Charles Picart-Le Doux et Bessie Davidson, la seule femme peintre du groupe, sans oublier Dunoyer de Segonzac et Zadkine. Parmi les Néerlandais vivant aux Pays-Bas, ses amis étaient les sculpteurs Jan Bronner, Lous Beyerman, les peintres ten Holt, Jeanne Bieruma-Oosting, Kasper Niehaus. Avec quelques-uns, Anne, la fille de Conrad, a conservé des relations qui se sont étendues à leurs enfants et parfois à leurs petits-enfants. Les liens créés par Kickert ont été assez solides pour se perpétuer et se transmettre sur deux générations.

(1) : Cf. supra, année 1927, p. 228 (exposition particulière chez Bernheim-Jeune).

Association Conrad Kickert
Lucien et Anne GARD - Les Treize Vents - 15 700 PLEAUX