VIII - Les réfugiés en Charente  > Rapport avec l'administration néerlandaise à Vichy

Kickert regretta beaucoup, en septembre, le départ de Wouter van Wijk son précieux collaborateur (le dauphin, comme l’appelaient Belabre et bien d’autres) lorsque celui-ci réussit à rejoindre une université (1) en Suisse. Conrad en fut d’autant plus désolé que trois mois auparavant Wouter avait subi l’affront d’une insinuation insupportable pour son honneur de la part du secrétaire de l’association de Secours aux réfugiés néerlandais. Installé à Vichy, cet organisme devait répondre aux besoins exprimés par les divers centres abritant des réfugiés néerlandais et notamment de rembourser leurs frais de subsistance, un engagement pris envers eux, on s'en souvient, par l’administration néerlandaise en mai 1940. Il a été indiqué plus haut (2) pourquoi ces dépenses ne pouvaient pas toujours être justifiées par des documents comptables. En revanche leur nécessité et leur montant pouvaient facilement se déduire du nombre de réfugiés et, du reste, une inspection sur place n’aurait eu aucun mal à le vérifier. Le secrétaire en question ne se donna pas tant de peine, ne porta aucune accusation précise et se contenta de jeter un doute en employant l’expression de "comptabilité falsifiée". Cette comptabilité était établie par van Wijk qui tenait Kickert informé de sa teneur. Conrad envoya au président de l’Association de Secours une protestation en quinze points, précédés chacun d’une lettre, de A à O. Cette présentation, qui ne permet au destinataire aucune échappatoire et l’oblige à répondre sans rien éluder, n’est certes pas diplomatique et en dit long sur l’indignation de Kickert. Il n’obtint pas de réponse. Il eut mieux fait soit de mépriser en silence, soit de montrer le ridicule de l’imputation faite à la comptabilité et indirectement à la gestion de La Partoucie. Exiger une rétractation et cela dans un style comminatoire, mettait les destinataires dans une situation à laquelle ils n’étaient préparés ni par leurs habitudes, ni par leur tempérament. A l’origine du débat il y avait une expression, certes inadmissible, employée par un fonctionnaire de second ordre. Kickert aurait dû mieux en apprécier la portée très limitée, en songeant aux conditions dans lesquelles cet homme exerçait sa mission. En fait, l’association de Secours aux réfugiés néerlandais accomplissait sa tâche tant bien que mal, sans ressources propres et sans statut bien défini. Elle ne pouvait et ne voulait pas être l’émanation du gauleiter "administrant" les Pays-Bas. Elle ne pouvait bénéficier d’un secours quelconque de la reine repliée en Angleterre sans gouvernement. Elle n’avait finalement aucune accréditation diplomatique en France, d’où son intitulé discret d’association. Elle n’encaissait cependant ni cotisations, ni dons. Elle dépendait de subventions allouées par le gouvernement de Vichy. Ce dernier la soutenait dans la mesure de ses moyens, par solidarité avec un pays victime du même conflit et des mêmes envahisseurs. L’association bénéficiaire devait soit fonder ses demandes sur des besoins chiffrés, soit du moins rendre compte de l’emploi des versements reçus. Concernant La Partoucie, le comptable de l’association peinait à l’intégrer dans ses récapitulations de dépenses. Le reproche de "comptabilité falsifiée" s’explique en partie par cette difficulté, même s’il faut faire une grande place à la bêtise dans cette formulation puisque son auteur aurait pu aussi bien faire comprendre ses soucis sans recourir à un terme aussi insultant. Quoi qu’il en soit, les versements indispensables à la survie du centre de La Partoucie, s'effectuèrent ponctuellement comme si aucun problème ne s’était jamais posé.

Heureusement Kickert recevait de temps à autre des témoignages de reconnaissance de réfugiés qui avaient réussi (souvent avec son aide) à passer à l’étranger. En voici un exemple (3) :

Séville, 1er août 1941

...Avant de quitter l’Europe, je veux vous exprimer mes remerciements pour tout ce que vous avez fait pour moi...Jusqu’à présent j’ai fait un bon voyage. J’ai été très bien reçu à la légation de Madrid grâce à votre lettre de recommandation. Je suis arrivé ici un jour avant le jour fixé pour le départ du bateau et j’ai appris qu’il y aurait du retard (depuis, c’est bien d’une semaine qu’il s’agit). Au point de vue finances, c’était devenu difficile, il n’y a pas de consulat fixe ici, mais le consul, M.A. de Voogt, vient une fois par semaine à l’hôtel Inglaterra et a tout de suite, au vu de mes papiers, procuré le nécessaire pour mes frais de séjour. Je suis au loin, mais par la pensée je vis toujours encore à La Partoucie...

(signé Batavier)

Association Conrad Kickert
Lucien et Anne GARD - Les Treize Vents - 15 700 PLEAUX