VIII - Les réfugiés en Charente > Confiance accordée à Dunac
La lettre annoncée, datée du 27 mars, donna d’abord à Conrad des
nouvelles détaillées. Glaser s’occupait, en fait, des affaires de
"Messieurs Mirabaud" en Afrique du Nord, ce qui l’obligeait à de
fréquents voyages. Sa femme, Germaine, avait profité autrefois des
leçons de peinture de Kickert et comptait se remettre à peindre aux
premiers beaux jours. Bien installés à Alger, ils avaient "le plaisir
d’avoir sous les yeux quelques unes des bonnes toiles du vieil ami
Conrad" qu’ils invitaient pour l’hiver suivant avec l’espoir qu’il en
profiterait "pour aller faire quelques nouveaux chefs-d’œuvre dans le
Sud". Après un éloge de Dunac, Glaser vantait la galerie que celui-ci
voulait lancer "admirablement placée dans la plus belle rue d’Alger,
face aux facultés".
Dunac, s’appuyant sur le télégramme du 25 mars, avait déjà écrit pour préciser les conditions de l’exposition (1).
Kickert devait envoyer la liste des œuvres qu’il aura choisi d’exposer,
avec mention du prix qu’il désirait en retirer. Ces prix seraient
majorés de vingt-cinq pour cent afin de couvrir les frais de la galerie
et de rémunérer ses services. Si Dunac jugeait qu’on pouvait attendre
davantage de la clientèle, il fixerait en conséquence des prix plus
élevés et réserverait à Kickert, sur les toiles vendues, les deux tiers
de la majoration, n’en conservant qu’un tiers pour sa galerie. Il
souhaitait recevoir les directives du peintre pour faire "une publicité
de bon aloi" en utilisant les données que Kickert voudrait bien lui
fournir sur sa personnalité et sur sa carrière. Pour les cadres, il
pouvait les faire fabriquer à Alger sans problème. "...Je vous
demanderai de bien vouloir vous fier à mon goût pour que ces
accessoires soient conçus pour mettre réellement vos toiles en valeur".
Il suffisait de lui envoyer les dimensions des œuvres, dimensions que
Dunac espérait conformes aux formats standard, "...comme le n° 15
figure ou le n° 10 paysage, par exemple... Seuls les cadres des
toiles vendues vous seront débités, à leur prix d’achat et selon
facture justificative". Pour l’expédition, Dunac prenait à sa charge
les frais de transport du voyage aller, Kickert n’aurait à régler
ultérieurement que ceux du retour pour les invendus. Dunac conseillait
de passer par un transitaire de Marseille : MM. Mory et Cie auprès
de qui il ferait le nécessaire pour l’assurance maritime. Il terminait
sa missive ainsi : "Excusez -moi de ce long bavardage, par trop
commercial, mais pourtant bien nécessaire et qui, j’ose l’espérer, sera
le prélude d’une collaboration que j’espère féconde".
Kickert ne pouvait qu’apprécier les conditions proposées. Bien qu’il se
fût montré toujours sourcilleux sur l’encadrement de ses œuvres, il
accepta de se fier sur ce point au goût de Dunac, une marque de
confiance et d’estime sans précédent ! Le choix des tableaux se
trouva simplifié du fait que Conrad n’avait aucun moyen d’en faire
venir de Paris. Il disposait seulement des quelques dizaines qu’il
avait peints en Charente. Il devait donc se résoudre à ne pas montrer
les différentes époques de son œuvre, ni la variété de ses
sujets : pas de marines, pas de grandes compositions présentées à
des salons, pas de nus pour ainsi dire. Par chance Glaser prêta
personnellement ou procura par ses relations sur place, sept ou huit
tableaux dont trois marines, peintes de 1937 à 1939. Kickert fournit de
son côté trente et une œuvres peintes. Il fallut recourir au
transitaire Mory, dûment prévenu et probablement chapitré par
Dunac ! Kickert confia une caisse de vingt-six kilos aux bons
soins de la gare de Confolens à destination de Marseille. Cette
expédition, effectuée le 1er avril, subit sans encombre les embûches
des transports (ferroviaires puis maritimes). Un tube contenant seize
œuvres sur papier avait été envoyé également à MM. Mory et Cie et de là
rejoignit Alger par avion, semble-t-il.
Sans attendre ces livraisons, Dunac avait fait fabriquer dans les
dimensions indiquées, des cadres "...exécutés pour présenter vos œuvres
en profondeur...dans une teinte blanche patinée qui est d’un très
heureux effet" (2). Il
prévoyait aussi de faire passer un vernis sur les toiles. Une
nécessité, car Kickert ne vernissait ses tableaux qu’après six mois à
un an de séchage et n’avait pu le faire avant leur envoi. Comme il
était très attaché à une qualité et à une marque de vernis et qu’il
pensait que Dunac n’en trouverait pas à Alger, il lui indiqua une
recette (à base essentiellement de térébenthine et d’huile de lin, dans
des proportions bien déterminées) qui donnait temporairement un bon
résultat sans préjudice pour la suite, mélange qu’il avait lui-même
expérimenté.
(1) : Lettre datée, comme le câble, du 25 mars (archives Gard-Kickert).
(2) : Lettre de Dunac à CK du 6 avril.