VII - L'étau financier se desserre  > Chevalier de l'Orange-Nassau

Au mois de mai, Kickert interrompit son travail durant une semaine, car il avait été appelé à la commission de placement du salon des Tuileries, c’est-à-dire chargé de choisir l’emplacement où seraient accrochés les tableaux envoyés par les exposants. Un rôle considéré comme un honneur parce qu’il ne pouvait échoir qu’à un artiste reconnu par ses pairs pour son talent et apprécié pour son objectivité. Ceci n’empêcha pas Conrad d’exposer lui-même et il envoya deux œuvres de 1937, "la Guitariste" (1) et une marine de Saint-Jean-Cap-Ferrat (2). Kickert n’exposa pas ailleurs en France, mais il montra du 13 octobre au 4 décembre au Carnegie institute de Pittsburgh, une vue de vallée alpine avec quatre arbres fruitiers rabougris et couverts de neige, un paysage dont Emily Genauer vanta la "belle ordonnance" (3).

Auparavant, en juin, il avait prononcé l’éloge funèbre du père d’Anders Osterlind, le peintre Allan Osterlind, et s’attira les remerciements émus des amis et des personnalités qui avaient accompagné le défunt au cimetière Montparnasse. L’été lui permit de retrouver des sites à peindre d’après nature. Cette année-là il partit avec Titanne en juillet à Arradon, où ils se joignirent à un groupe nombreux rassemblé par la comtesse de Latour de Geai et son mari, dans une maison appelée Er Pen, c’est-à-dire "la pointe". Il s’agissait d’une belle gentilhommière, bâtie en effet à quelques dizaines de mètres de la mer, au bout de la fameuse pointe d’Arradon. Kickert peignit cette maison et la côte autour de Port-Blanc, Larmor et poussa vers Quiberon. Il se rendit aussi à l’île aux Moines et à Saint-Cado.

A son retour à Paris, il reçut communication de la décision par laquelle, le 23 août, la reine Wilhelmine l’avait fait chevalier d’Orange-Nassau. Une distinction non sollicitée fait toujours plaisir, mais Kickert resta choqué qu’elle intervint quatre ans après que la France lui eut conféré la Légion d’honneur, et d’autant plus qu’à cette époque la souveraine de Hollande n’avait pas pris la peine de remercier le gouvernement français pour l’honneur fait à l’un de ses sujets, un acte de courtoisie qui ne coûte rien et de ce fait se pratique habituellement. Cette décoration suscita quelque fierté chez les amis hollandais de Conrad qui souhaitèrent le revoir. Il répondit à leur invitation en se rendant à Amsterdam où, à partir du 7 septembre, les Ouendag (4) le reçurent affectueusement et d’où il se rendit à Rotterdam, Bergen et enfin Groet, chez les Niehaus.

Trente-six œuvres de 1938 ont été enregistrées au catalogue raisonné, ce qui montre un léger progrès sur le marasme dû aux pénibles épreuves encadrant 1936.

(1) : "La Guitariste" 1937 (73 x 60 cm) Opus 37-19.
(2) : Il peut s’agir de l'Opus 37-18 cité supra, année 1937, p. 349. CK pouvait profiter du fait que le tableau avait été soigneusement encadré pour l’Exposition universelle et qu’il échappait au reproche d’être présenté successivement dans deux salons différents à Paris, car la salle Pays-Bas de l’Exposition universelle pouvait être considérée comme une présentation à l’étranger.
(3) : In New-York World-Telegram du samedi 15 octobre 1938 :
    "Fruit trees in the snow" 1937 (73 x 92 cm) Opus 37-15, ancienne coll. Duynter aux Pays-Bas ; n° 234 de l’exposition.
(4) : CK avait demandé (sa lettre du 5 septembre) qu’on lui donnât "au nom du Ciel, la petite chambre sur la rue". Il profita de sa venue à Amsterdam pour passer voir sa fille Anne, en vacances chez sa tante Har Hoven, la sœur de Gée.

Association Conrad Kickert
Lucien et Anne GARD - Les Treize Vents - 15 700 PLEAUX