VI - Talent reconnu > Musée de Rockford (Illinois)
Les cinq toiles de Kickert montrées à Pittsburgh furent exposées, comme
prévu, au musée de Baltimore puis à celui de Saint-Louis sans y trouver
preneur en dépit du succès rencontré par ces manifestations. Cependant
dès le 13 février, Mrs Shultz avait demandé par lettre à Conrad de
faire expédier de Saint-Louis à la galerie qu’elle exploitait à Rockford (1),
les œuvres qui, à la fin du mois d’avril, ne seraient pas encore
vendues. Et elle les y exposa du 16 mai au 22 juin. Tous les frais de
transport avaient été, depuis le début, réglés par le Carnegie
institute et Mrs Shultz s’était engagée à retourner à Paris, sans frais
également, les toiles pour lesquelles elle n’aurait pas trouvé
d’amateur. Aucune vente n’avait été réalisée pendant l’exposition et
Mrs Shultz constatant que les gens étaient "près de leurs sous", du
fait de la crise, suggéra à Kickert d’accepter un règlement étalé sur
un an en trois échéances (2).
Il consentit au principe du délai et Mrs Shultz négocia avec chaque
acheteur des paiements étalés le plus souvent en mensualités de
vingt-cinq dollars. Elle dut toutefois pour un jeune médecin qui acheta
les "Fleurs", consentir un délai de cinq mois avant même le premier paiement, reporté au début de 1931.
Kickert avait indiqué qu’il préférerait un rabais sur le prix de vente
de ses œuvres plutôt que leur rapatriement. Lors de l’envoi à
Pittsburgh des cinq tableaux à exposer au Carnegie institute, Conrad
avait indiqué des valeurs qui atteignaient un total de deux mille cinq
cent cinquante dollars. En application de ses nouvelles directives, ce
montant se trouva réduit à mille six cents dollars. C’est ainsi que "Fish and game"
fut acquis pour le musée de Rockford au prix de cinq cents dollars. Le
Dr Furst en versa la moitié de sa poche vers la fin de septembre et la
Rockford art association fournit le solde, à cinquante dollars près, à
la mi-décembre.
Les paiements fragmentaires reçus par Conrad entre juillet et décembre, y compris ceux concernant "Fish and game", atteignirent sept cents dollars (3).
Pour ce même second semestre Kickert encaissa (et ce fut semble-t-il
pour la dernière fois) au titre de commissions sur la vente des
"Couleurs de La Haye" (4), une somme de six cent quatre-vingts francs.
Durant ce temps, la vie artistique continuait à Paris. Kickert exposa
au salon de l’Art français indépendant, de fin avril à mi-mai, une "Tempête à Deauville",
la version la plus mouvementée qu’il ait faite de ce sujet, élaborée
évidemment, vu sa taille, dans le calme de l’atelier à partir d’études
d’après nature. Cette accentuation des effets dans les marines ou les
paysages se remarque souvent dans les versions d’atelier. Le peintre ne
recopiait jamais une œuvre, il produisait une réplique où il
s’exprimait avec sa sincérité du moment et la maturation du sujet qu’il
avait continué à porter en lui. Les critiques furent unanimes à
remarquer et à louer la force du morceau présenté. Nous relèverons les
expressions : "vigoureux et truculent" (5), "grand souffle romantique" (6), "mer en tempête sous un ciel tumultueux" (7), "mer déferlante" (8), "marine couleur d’huître, très juste" (9). Cette marine fut reproduite deux fois. Comœdia du
25 août en fit l’illustration de sa page "Comœdia à Deauville", à
l’époque du troisième séjour de Kickert dans la station. Plus
surprenante, mais bien flatteuse, avait été la reproduction de cette
marine, en juin, dans le quotidien publié par la Compagnie générale
transatlantique, sur les paquebots desservant l’Amérique du Nord. Cette
photographie illustrait un long article sur Conrad, son œuvre et ses
liens avec les Américains.
Conrad montra plus abondamment son travail au salon des Tuileries, du 13 juin au début juillet, avec "le Crabe", "Anémones", "Diane"
et un portrait. Cette fois-ci ce sont le nu et le portrait qui
suscitèrent le plus d’attention et de compliments. On en loua le nerf,
la franchise, la hardiesse, la sûreté ou la science dans une bonne
dizaine de critiques (10). Cependant, le Telegraaf d’Amsterdam (11),
sous la plume de Niehaus, s’étendit sur les natures mortes qu’il
qualifia d’inoubliables, et jugea qu’après Jongkind et van Gogh,
c’était au tour de Conrad "d’apprendre aux néo-naturalistes quelque
chose de notre don intime". Quant à Vauxcelles, élargissant son
jugement de la technique du peintre jusqu’à l’homme, il nota :
"Les empâtements sonores de Conrad Kickert servent à exprimer un
tempérament d’un pessimisme hautain" (12),
ce qui comportait à ses yeux un éloge mâtiné d’une réserve, deux
notations bien vues pour chacune mise à part, mais spécieusement
reliées.
(1) : Rockford art association, 201 Park avenue, Rockford (Illinois, USA).
(2) : Lettres des 22 et 24 juin de Mrs Schultz à CK.
(3) : Au sujet des ventes
réalisées, cf. lettres de CK à Mrs Schultz entre le 10 juillet et le 16
décembre 1930 (archives Gard-Kickert).
(4) : Cf. supra, année 1921.
(5) : Warnod in Comœdia du 29 avril.
(6) : Escholier in la Dépêche du 30 avril.
(7) : Chavance in la Liberté du 29 avril.
(8) : Fegdal in la Semaine à Paris du 16 mai.
(9) : Fierens in le Journal des débats du 6 mai.
(10) : Telles que celles de
Warnod in Comœdia du 10 juillet, de Kahn in le Quotidien du 14 juin, de
Thiébault-Sisson in le Temps du 4 juillet, et celles publiées par
Candide in le Matin et l'œuvre.
(11) : Du 25 mai.
(12) : In l'Excelsior du 14 juin.