V - Epanouissement à Chevreuse  > Retour à Paris

Ce n’était pas seulement le désir de quitter les Pays-Bas qui attirait Conrad vers Paris. Des raisons beaucoup plus positives l’y appelaient. D’abord, celles qui l’avaient conduit à s’y établir en 1909 : l’intensité de la vie culturelle, la liberté d’esprit qui permettait aux idées nouvelles d’y déferler en vagues serrées, mais sous le contrôle d’un sens critique aigu, ce qui en laminait les excès ou les intransigeances. Ensuite, le prestige accru de la capitale du pays qui avait gagné la Grande Guerre, au prix de sacrifices sans exemple dans l’histoire. Enfin, la situation personnelle de Conrad Kickert dans le milieu artistique parisien : les Pays-Bas ne s’étaient pas rangés sous la bannière des Alliés, mais personne à Paris n’aurait songé à compter Kickert parmi les neutres, tant l’action qu’il avait menée durant la guerre en faveur de la peinture française lui avait assuré l’estime de tous et la caution de collègues français couverts de cicatrices et de décorations.

C’est du reste au valeureux Gromaire que Conrad demanda une intervention en sa faveur auprès du consul des Pays-Bas à Paris, au début de septembre. Fort du résultat favorable de cette démarche, il fit viser son passeport à Amsterdam le 26 du même mois et prit le train pour la France au début d’octobre, Gée à son côté. Il était aux anges, comme le montre la carte expédiée aux Bronner : "Bon souvenir de Paris. Je suis au Paradis d’où j’envoie ce mot vers l’humide Amsterdam" (1). La préfecture de police l’inscrivit sans broncher le 21 octobre sous le nom de Kickert d’Egmont (son identité officielle (2) en France depuis lors et jusqu’à sa mort), comme accompagné et époux de van der Werff, comme domicilié 26 rue du Départ, et venu à Paris pour y exercer la profession d’artiste peintre (3). L’immeuble du 26 rue du Départ était constitué uniquement d’ateliers d’artiste. Conrad y avait déjà eu le sien de 1911 à 1913. Bonne surprise, c’est celui-là même qu’il put louer de nouveau, comme il l’écrivit à Bronner (4) dans une carte du 1er novembre : "j’ai de la veine, j’ai retrouvé mon ancien atelier, 26 rue du Départ".

(1) : Carte de CK aux Bronner du 15 octobre 1919 (archives Bronner, RKD, La Haye).
(2) : Nous disons "officielle" car CK ne se servait jamais de cette identité. Il signait les documents Conrad Kickert et la plupart des gens le connaissait sous le nom de Conrad, puisque c'était sa signature de peintre.
(3) : Extrait du registre d'immatriculation des étrangers. Faut-il penser que l'euphorie de la victoire avait aboli toute vérification à l'entrée des étrangers, et même à leur installation dans le pays ? Ou bien que CK bénéficiât d'un régime de faveur ? Car certaines énonciations du registre des étrangers sont inexactes. Le patronyme de Conrad devait s'écrire Kikkert puisque la décision royale l'autorisant à l'orthographier Kickert interviendra seulement le 9 décembre 1919. Et il n'est nullement fait mention dans cet acte du nom d'Egmont. La famille Kickert était alliée aux Egmont, et que ce fut par un lien indirect ne lui interdisait pas d'ajouter à son nom la formule "tot den Egmont", ce qui se faisait aux Pays-Bas selon un usage mondain. Cependant intégrer dans l'état civil de quelqu'un un nom qui ne figure pas expressément sur son passeport surprend de la part d'une administration réputée tatillonne. Et que dire de la qualité d'époux donnée à Gée et à Conrad par le même document ? Ceux-ci durent attendre jusqu'au 24 mars 1921 le jugement de divorce entre Conrad et Mary de Breuk. Impatients de régulariser leur situation ils se rendirent à Amsterdam dès le 8 avril, Gée à peine guérie d'une grave affection pulmonaire (lettre de CK à Bronner du 2 avril 1921, archives Bronner RKD La Haye). Ils y accomplirent en toute hâte les formalités de leur union qui fut enregistrée le 21 avril suivant.
(4) : Archives Bronner RKD (La Haye).

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