V - Epanouissement à Chevreuse  > Conrad sociétaire du salon d'automne

Cette année-là l’envoi de Kickert au salon d'Automne comporta deux paysages, "l’Entrée du château de Mauvières" (1) et "le Matin d’été" (2) ; en outre une nature morte, l’une des deux seules qu’il ait peintes en 1921, intitulée "Nature morte au delft bleu" (3). Une vingtaine de critiques remarquèrent ces œuvres. Quatre d’entre eux signalèrent seulement la nature morte dont ils vantèrent l’éclat ou la solidité ou la saveur. Cinq autres ne virent que les paysages ; si l’un les jugea riches, d’autres les ressentirent comme tristes ou lourds ; le correspondant anglais de Paris-Review (4) trouva "l’Entrée de Mauvières" si peu engageante qu’il la compara "à un décor de théâtre, depuis longtemps sans usage mais d’où, en son temps, devait surgir une bande de voleurs avec des anneaux dans les oreilles, le poignard à la main, de grandes bottes et tout le saint-frusquin". Plus sérieusement, le Crapouillot (5) et Comœdia voyaient une parenté entre Segonzac et Kickert, voire une influence du premier sur le second. Vanderpyl dans le Petit Parisien (6) pensait que Kickert recherchait "une convention lui permettant de marier son inspiration nordique avec l’abondance latine" ce qui devait être aussi, cinquante ans plus tard, l’analyse de Gérald Schurr (7). André Warnod (8) donne en partage à Gromaire, Kickert, Clairin et Lurçat une somptuosité qu’il estime "caractéristique de la peinture d’à présent". Dans l'Œuvre (9), c’est toute la salle II qui est célébrée pour ses "harmonies sévères et fortes, avec le sombre et puissant Conrad Kickert…".

François Fosca ne rendit compte du salon que près d’un mois plus tard, mais dans deux revues importantes, et avec un enthousiasme envers Kickert (qu’il ne connaissait pas personnellement) de nature à combler celui-ci. Dans la Revue hebdomadaire (10) d’abord : "Conrad Kickert, c’est un peintre qui aime à manier des pâtes épaisses, à les étaler au couteau, à les juxtaposer brusquement, ou bien à les fondre par dégradés délicats. Entre ses mains, les feuillages, les terrains, les ciels, prennent l’apparence d’agates ou de jaspes. Mais il n’y a pas là qu’un jeu sensuel. On y trouve également des volumes puissants, et aussi des finesses fort agréables. La peinture de Conrad Kickert rappelle l’énigme de Samson, le miel dans la gueule du lion, la douceur jointe à la force". Puis il récidive dans le mensuel Art et décoration (11), en des termes qui pourraient être une réponse à ceux qui auraient trouvé son premier article trop élogieux : "Conrad Kickert a beaucoup étudié, sans contredit, Courbet, ses pâtes agatisées, les dégradés subtils qu’obtient le couteau à palette. Mais il n’est pas moins personnel pour cela, et y ajoute un sens très intéressant de la couleur et de la matière, notamment dans "le Matin d’été à Talou". Cet emploi du couteau a ses dangers, mais tant de puritains aujourd’hui affectent de mépriser la matière picturale et ceux qui l’apprécient, qu’il est préférable de laisser Conrad Kickert manier ses marbres et ses jaspes. Il sera toujours temps de l’avertir quand il en abusera."

Ainsi Kickert occupait une position d’autant plus enviable qu’il en bénéficiait à Paris, la seule ville à l’époque qui pouvait donner à quelqu’un une étiquette mondialement reçue. Accroché dans les salons à côté des plus grands, tiré chaque fois de l’anonymat, au sortir de l’impitoyable tamis de la critique, sa réputation était établie. Elle lui valut d’être nommé sociétaire du salon d'Automne (12) ; il se trouvait donc dispensé à l’avenir de soumettre ses œuvres au jury d’admission et surtout s’agrégeait à une phalange d’artistes de qualité13. Cette position était très recherchée comme en témoigne une carte de 1922 d'Ossip Zadkine à CK : "Cher camarade, je vous prie, si vous aimez ma sculpture, de me proposer au S. d'Automne et faites voter vos amis, Amitiés. O. Zadkine" (archives Gard-Kickert) .

(1) : "L'Entrée du château de Mauvières" 1921 (100 x 90 cm) Opus A.21-23.
(2) : "Le Matin d'été" 1921 (81 x 100 cm) Opus A.21-22.
(3) : "Nature morte au delft bleu" 1921 (81 x 100 cm) Opus A.21-28.
(4) : Du 20 novembre 1921, rédigé en anglais.
(5) : Du 1er novembre 1921.
(6) : Comœdia et le Petit Parisien du 31 octobre 1921.
(7) : "Les Petits Maîtres de la peinture", tome 1, éditions de l’Amateur, Paris 1975.
(8) : In l'Avenir du 31 octobre 1921.
(9) : Du 31 octobre 1921.
(10) : Du 26 novembre 1921.
(11) : N° 240 de décembre 1921.
(12) : Par l'assemblée générale du 15 décembre 1921.

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