V - Epanouissement à Chevreuse  > Quelques œuvres importantes de Conrad Kickert

C’est ainsi que le 1er janvier 1922, Pierre Dubreuil écrivait à l’ami Conrad (1), pour lui souhaiter une bonne année et lui annonça : "Sabbagh a été très chic et bon camarade, il m’a fait vendre ma toile de l’Automne, avec beaucoup de tact et de gentillesse. J’en suis très heureux, et j’espère que ce favorable événement sera d’un bon augure et que nous roulerons tous bientôt sur des tas d’or, afin que nous puissions enfin nous livrer à nos instincts dépravés, et à notre goût pour la crapuleuse orgie".

Le ciel satisfit ces vœux en donnant à certains une richesse d’une autre nature puisqu’Elvire Dubreuil accoucha d’une seconde fille, Carmen, au printemps et Jeanne Gromaire d’un garçon, François, en été. Gée Kickert se chargea de l’aînée des Dubreuil, Livia, durant le séjour d’Elvire à la clinique, mais son propre désir de maternité ne fut comblé que trois ans plus tard, après qu’elle eut éprouvé plusieurs déconvenues.

Si un pactole ne vint pas non plus se déverser sur Kickert, le ciel lui donna une faculté créatrice qui fit de cette année 1922 et de la suivante les plus superbement productives de sa longue carrière. Plus de quarante tableaux sont, à l’heure actuelle, rattachés avec certitude à l’année 1922. Parmi les plus importants, "la Belle Fermière" et "mon portrait furent exposés à des salons et nous en parlerons plus loin. Trois portraits de Gée frappent par la diversité de leur inspiration. L’un fut dénommé esquisse (2), parce que traité à grands traits, mais il n’a rien d’inachevé et sa puissance tragique émeut. Le second (3)  montre Gée à mi-corps de face, revêtue d’une souple veste rouge et coiffée d’un chapeau de velours noir qui noie d’ombre deux grands yeux violets. Le dernier la représente debout ; d’une main elle retient un kimono de soie qui découvre son épaule, à moins qu’elle ne se prépare à le quitter ; les yeux baissés, une expression de méditation sacrée sur la face, elle fait penser à une Judith (4) .

Du séjour à Talou, où l’amitié, la gaieté, les échanges philosophiques, littéraires, musicaux (5), mais aussi le travail se combinèrent comme d’habitude, Conrad rapporta de nombreux paysages dont plusieurs, au cours des deux années suivantes, furent vendus. "La Grange" (6)  avec son étage supérieur en planches qui se dresse contre un ciel de cobalt, fut peinte – ou du moins son étude – à quelques centaines de mètres de Talou, au bord de la route de Chevreuse ; ce bâtiment subsistait en 1994.

Enfin, sortant de la bouderie par laquelle il avait démontré son indépendance, il peignit une vingtaine de natures mortes ! "Fleurs de Vertcœur" (7)  représente un bouquet offert à Gée par le châtelain de Vertcœur. Il a été complété par deux tournesols, salut et tribut cordial du peintre à un illustre collègue et compatriote.

Il exposa au salon des Indépendants (28 janvier-28 février) une nature morte de 1920 (8), et un paysage de 1921 (9). Pour la première fois, l’accrochage se faisait par ordre alphabétique ce qui souleva des protestations véhémentes.

Les critiques que Kickert obtint furent aussi nombreuses et favorables qu’auparavant, avec les mêmes réserves de Chavance (10) lui reprochant "de s’obstiner dans des tons sourds, lesquels donnent à ses toiles l’apparence de copies d’ancien" et la formule habituelle de Vauxcelles (11) qui évoque ses "ors rembranesques" ; la sympathique appréciation de Galtier-Boissière dans Le Crapouillot (12) "une bonne nature (morte) sobre, grasse et bien charpentée" est assortie d’une description physique de l’artiste, où revient la barbe rouge et où il est doté d’une taille de deux mètres cinq (13). Quant à Adolphe Basler, critique, historien d’art et courtier en tableaux, très lié avec les peintres du Café du dôme, et surtout avec Kars, Coubine et Kisling, il publia un article, en français dans les Belles Lettres (14) et en allemand dans der Cicerone de février (15) (il était de nationalité polonaise !) dans lequel il comparait l’influence de Kickert sur Luc-Albert Moreau, Dufresne, Gromaire et Alix à celle qu’exerça Bonington sur l'Ecole romantique française au début du XIXème siècle.

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Association Conrad Kickert
Lucien et Anne GARD - Les Treize Vents - 15 700 PLEAUX