I - Conrad critique d'art  > Conrad Kickert, critique d'art

Il disposa très vite d’une tribune puisque, dès mars 1904, le HAARLEMSCH DAGBLAD publia ses chroniques artistiques. Et ses premières œuvres – qu’il ne datait pas – peuvent être à coup sûr rattachées à la même année. S’il n’était encore qu’un apprenti en peinture, en revanche comme critique d’art, en raison de sa formation littéraire et de sa culture, il fut dès le début considéré comme un expert. Pourtant ses avis ne relevaient d’aucun conformisme. La peinture hollandaise "moderne", appelée Ecole de La Haye, digérait doucement, pour ne pas dire interminablement, l’Ecole française de Barbizon. Pour Conrad Kickert, il fallait aérer tout cela. Il discerna les premiers signes d’évolution et les mit en lumière dans la cinquantaine d’articles qu’il consacra à l’art dans le quotidien de Haarlem. C’est à leur lecture que le rédacteur en chef du TELEGRAAF, le plus grand journal des Pays-Bas, eut l’intuition que l’on pouvait faire quelque chose d’intéressant avec ce jeune homme aux tendances novatrices ; il le convoqua en 1906 et lui demanda s’il était capable de franchise et de courage. Conrad ayant répondu affirmativement, Holdert l’embaucha. Deux ans après, le même le remercia aux motifs qu’il était "trop franc et pas assez peureux". Ainsi se termina en 1908, une collaboration qu’il avait commencée sous le pseudonyme de C.A. Meleon (un choix curieux puisqu’il avait l’intention de toujours afficher la couleur sans le moindre compromis) et continua sous son propre nom, ayant fourni en tout cent cinquante articles. Prémonition ou non, Kickert, depuis le mois d’avril avait commencé à envoyer des chroniques à une revue publiée à Bruxelles, DE KUNST, dont le rédacteur en chef N.H. Wolf, était critique d’art. De 1908 à 1911, il y écrivit cinquante articles. Quel que fût le journal, Kickert affirmait ses idées, faisait part ici de son admiration, là de ses réserves, quelquefois – pour les fausses gloires – de son dédain.

Les pontifes de la critique d’art dans ces années-là, s’appelaient Steenhoff qui tenait la rubrique dans DE AMSTERDAMMER, et, un peu en retrait, Plasschaert. Kickert, tout en ayant beaucoup d’estime pour Steenhoff, son aîné de vingt ans, s’en séparait sur des sujets importants. Il soutint Sluyters que l’autre ne comprenait pas et il fut non seulement le premier à signaler Mondrian (1), mais aussi le seul à le louer quand son illustre collègue le jugeait "extravagant" et décidément "en marge". Ils partageaient néanmoins tous deux une grande admiration pour Toorop. Leurs jugements différaient aussi sur les expositions régulières où l’on retrouvait les membres des principales associations d’artistes : Arti et Amicitiae (2), Sint-Lucas (3), Pulchri Studio (4). Steenhoff parlait avec beaucoup de respect du premier groupe dans lequel Conrad ne voyait que des vieillards mâchonnant. En revanche, Sint-Lucas, à la pointe du modernisme pour Conrad, aurait dû, selon Steenhoff, se garder de certains excès.

Le style des critiques de Conrad ne comportait ni l’onction indulgente d’un juge, ni le ton supérieur de celui qui distribue des récompenses. Ce serait un comble, pensera-t-on, chez un si jeune homme ! Certes, mais on retrouve le même enthousiasme dans les articles qu’il écrivit quarante-cinq ans plus tard dans HET VADERLAND où il rendait compte des expositions majeures présentées à Paris. Il trouvait des mots nouveaux pour parler de grands anciens à propos desquels on aurait pu croire que tout avait été dit. Son admiration procédait d’une jeunesse d’esprit qui jamais ne se démentit. Pourtant Conrad Kickert avait évolué au fil des années. Si son intelligence de l’œuvre des grands maîtres se fit de plus en plus pénétrante, il avait abandonné certains élans d’admiration ressentis et manifestés par lui autour de 1910, parce qu’il avait constaté ensuite avec regret, chez quelques-uns des peintres qu’il avait vantés, l’abandon délibéré des lois immuables auxquelles répond une œuvre d’art. Ce fut le cas pour Mondrian. Mais il conserva pour van Gogh une admiration passionnée ; il était d’ailleurs choqué de voir la puissance exacerbée de ses dernières œuvres attribuée à la folie de Vincent, car il constatait jusque dans celles-là, la parfaite lucidité du peintre et une logique dans ses excès mêmes.

(1) : Son nom s’orthographiait à l’époque avec deux A : Mondriaan. Nous utilisons la forme francisée, beaucoup plus connue.
(2) : Pour l’art et l’amitié.
(3) : Sous la bannière de saint Luc, évangéliste et patron des médecins et des peintres.
(4) : Atelier de la beauté.

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