VI - Talent reconnu  > Problèmes aves ses galeries

Les rapports de Kickert avec la Hollande s’étaient dégradés. L’année passa sans qu’il s’y rendît. La correspondance avec ses amis se raréfia. Il s’abstint d’exposer chez van Deene à côté de ses collègues français. Au demeurant, ses relations avec van Deene avaient évolué. Il ne se sentait plus solidaire de lui dans tous ses efforts comme au début. Il ne croyait plus au succès de la croisade en faveur de la jeune école française, ayant mesuré la pesanteur sur le public de la tradition établie et la jalousie des confrères néerlandais. Quant à la réussite financière, ce n’était plus un objectif réaliste pour la Galerie d'art français qui fournissait à van Deene de quoi ne pas mourir d’inanition mais pas assez pour empêcher sa femme et lui d’avoir faim (1). Depuis la vente aux enchères du local du Prinsengracht, l’occupation des lieux n’était plus gratuite. De surcroît le nouveau propriétaire avait hâte de voir la galerie déménager. Ce qui se fit en mai où van Deene la transféra au 752 Keizersgracht, à deux pas de l’ancien hôtel particulier où avait exposé Conrad en 1915-16. Le soutien de celui-ci restait certes acquis à van Deene mais les occasions de le lui manifester se faisaient moins fréquentes. Les collègues introduits par Kickert avaient désormais des liens directs avec van Deene. Il en allait de même pour les galeries parisiennes. Au surplus, Conrad était déçu parce que ses œuvres ne se vendaient pas aux Pays-Bas, alors que la Galerie d'art français en détenait un grand nombre. Aussi réclama-t-il périodiquement le retour de ce stock. Van Deene devait alors lui rappeler les efforts faits pour la promotion de son œuvre, laquelle devait vaincre bien des préventions, ne pouvait donc porter de fruits qu’avec le temps et sous la condition de pouvoir montrer une collection importante et régulièrement renouvelée par l’apport de toiles récentes. Les griefs de Conrad ne l’empêchèrent pas de recevoir chez lui cordialement van Deene quand il vint à Paris au début d’octobre, ni même de l’accompagner dans ses visites à certains marchands (2). Mais il lui témoigna de nouveau son mécontentement parce que van Deene n’arrivait pas à vendre le dessin de Toorop qu’il lui avait remis à Paris et sur la vente duquel il fondait des espoirs probablement excessifs (3).

Cette impatience s’expliquait par les difficultés financières que Conrad connaissait une fois de plus. Au début de l’année, après avoir remboursé Eekhout, il s’était trouvé riche de l'équivalent de quinze à trente mille euros. Des incertitudes qui ne peuvent être levées sur le montant véritable auquel fut cédé Talou et sur le prix des œuvres vendues à Bruxelles ne permettent pas d’être plus précis.

En août, il avait mis en dépôt huit toiles chez Katia Granoff. Sur les conseils de Kickert et de deux ou trois collègues, qui avaient remarqué aux Tuileries ses qualités de vendeuse (4), celle-ci s’était en effet mise à son compte. En octobre Granoff vendit pour deux mille francs la "Nature morte aux asperges" (5) présentée aux Tuileries, qui s’était ajoutée au dépôt. En dépit de cette vente et de quelques autres faites dans l’année, Kickert n’avait plus un sou vaillant à la Toussaint.

Certains le jugeaient incapable de se priver de dépenses somptuaires. Ces faiblesses qui n’allaient pas à de grosses sommes étaient excusables si l’on voulait bien songer que Conrad, dès l’enfance, avait pris le pli d’un style de vie comportant des exigences et des habitudes surannées. Il acceptait aisément de se nourrir de pommes de terre à l’eau ou de porter des vêtements râpés mais pas d’arriver sans fleurs pour dîner chez un collègue marié. Marcheur infatigable, où qu’il eût à se rendre dans Paris, il y allait à pied. Mais si d’aventure le temps lui manquait, il hélait un taxi. Il connaissait l’existence de transports en commun de surface, et même souterrains, mais sans avoir jamais trouvé motif à vérifier leur utilité.

Ces fantaisies n’expliquent donc pas la gêne dans laquelle il se trouvait, d’autant moins qu’elle était commune à la plupart de ses collègues. Il faut donc admettre que dans ces Années folles l’intérêt que le public portait à l’art, aux théories, aux écoles était fait de curiosité, parfois de dérision, souvent de snobisme et n’allait pas jusqu’à donner de l’argent pour posséder un tableau.

(1) : Ceci est à prendre au sens littéral, comme l'écrit van Deene dans plusieurs de ses lettres.
(2) : Lettres de van Deene à CK du 25 octobre 1925 (archives Gard-Kickert).
(3) : Lettres de van Deene à CK des 15 novembre et 1er décembre 1925 (archives Gard-Kickert).
(4) : Elle était vendeuse pour le compte d'Elie Vidal, agent général du salon des Tuileries.
(5) : "Nature morte aux asperges" 1925 (92 x 73 cm) Opus A.25-25.

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