VI - Talent reconnu  > Les amateurs montent "l'Escalier"

Louis Vauxcelles dans la Volonté du 1er janvier 1927 écrit sous le titre "les Expositions de la semaine" : "Les expositions se succèdent, se juxtaposent, se chevauchent avec une effarante abondance. C’est à croire que tous les peintres du monde entier se sont abattus sur notre cité". Et il rend compte en quelques mots de douze expositions de groupe, cinq sur la rive gauche (très exactement rue de Seine) et sept, rive droite. A l’une de ces dernières, le salon de l’Escalier (1), Vauxcelles consacre une trentaine de lignes, son plus long commentaire. Par chance c’est là qu’on trouvait Conrad. Le critique se contenta de le citer comme il le fit pour les neuf collègues qui y exposaient, mais en recommandant chaudement d’aller voir leurs toiles "savoureuses". Cette appréciation sympathique était due au caractère très particulier de cette exposition. Rien n’indique à qui l’on doit la sélection des peintres mais son résultat fait penser à une cooptation fondée sur la camaraderie. Six des exposants étaient des amis de Conrad dont trois, Valdo Barbey, Osterlind et Thévenet, des intimes. Vauxcelles, en tous cas, fut frappé par cet "ensemble d’une homogénéité étudiée". Il fut conquis aussi par l’originalité de la présentation. Elle se déployait sur les paliers successifs de l’escalier (d’où son nom) qui menait à la salle de la Comédie des Champs-Élysées, perchée au quatrième étage du célèbre immeuble construit par Auguste Perret au n° 15 de l’avenue Montaigne. L’exposition était ouverte au public entre quatorze et dix-huit heures, mais les spectateurs du théâtre en profitaient à leur tour en soirée. Vauxcelles insistait là-dessus : "Pendant les entractes de cette étrange et passionnante pièce "Le Grand Large", montée et jouée à miracle par l’admirable Louis Jouvet, c’est un ravissement que de s’attarder à cette exposition".

Durant la seconde quinzaine de janvier, Kickert montra des œuvres à la galerie Carmine (2), des fruits et des fleurs puisque tel était le thème de cette manifestation ; et, en même temps, figura chez Bernheim-Jeune dans une exposition dite Multinationale, organisée à l’initiative d’une dame Harriman, une américaine qui avait sélectionné des peintres de cinq nationalités : des Américains, bien sûr, des Anglais, des Allemands, des Suisses et des Mexicains, appelés à montrer ce qu’ils savaient faire aux côtés d’artistes français. Louis Vauxcelles (3) se demanda pourquoi ces cinq nationalités, en constatant que les peintres exposés présentaient de pâles copies des maîtres français : "non loin d’un Matisse, admirable d’ailleurs, un faux Matisse made in Germany et, près de deux Braque exquis, de pseudo-Braque étrangers" et en découvrant qu’il y avait bien "des toiles excellentes d’étrangers mais que c’étaient celles de Detthow, suédois ; de van Dongen et Conrad Kickert, hollandais ; de Beltran Massès et Juan Gris, espagnols ; de Foujita, japonais ; de Rysselberghe, belge", toutes nationalités non invitées, en principe, ce qui l’amena à déclarer : "on nous propose ici des énigmes".

En février, se tint le 3ème salon des "Peintres de la Mer" (4), qui valut à Kickert quelques lignes dans deux journaux d’Amsterdam (5). Dans le premier on lisait : "à propos de l’envoi de Conrad Kickert, aux riches couleurs, on devra surtout reconnaître que de la mer il a vu plus que l’aspect extérieur". Un hommage qui a dû faire plaisir à la fois au peintre et à l’amateur de régates qu’il avait été dans sa jeunesse et ce d’autant plus que les Néerlandais, avec beaucoup de conviction mais aussi d’assez bons motifs, se considèrent comme les meilleurs marins du monde. Dans le second journal, si les rochers paraissent au critique un peu désordonnés, la mer mouvementée recueille des compliments et entraîne la conclusion qu’il s’agit "presque d’un chef d'œuvre".

En mars, à la galerie Henry (6), on put le voir encore en compagnie d’une dizaine de collègues dont Dufy, Marie Laurencin, Laboureur, Vlaminck... et Lhote.

Et nous voici en avril, chez Bernheim-Jeune qui présenta fièrement son écurie, les jeunes poulains sur lesquels, à l’époque, il fondait des espérances comme Kickert, Gromaire, Kisling, Foujita, Favory, Ottman, dans la même foulée que des champions déjà reconnus, Pascin, Suzanne Valadon, Dufy, Utrillo, Vlaminck, Lebasque, Bonnard et en compagnie d’un crack valeureux dont la seule présence équilibrait les audaces que le public aurait pu craindre des autres, Maurice Denis. Kickert fut remarqué seulement par deux critiques qui opéraient l’un et l’autre dans un journal d’extrême gauche. Montsour, dans l’Humanité (7), admira dans un paysage de l’île d’Yeu "des champs de Conrad Kickert qui sont un défi à l’imagination et un défi victorieux", et Cadidienne, dans le Journal du peuple (8) signala "un Conrad Kickert très solide, les champs sous le vent avec un bouquet d’arbres. La nudité de la nature".

(1) : Ouverte le 26 décembre 1926, cette exposition se termina le 15 janvier 1927.
(2) : Rue de Seine, n° 5, du 17 au 31 janvier 1927. Neuf peintres dont Kvapil, Osterlind et Antoine Vuillard.
(3) : In la Volonté du 18 janvier 1927.
(4) : Organisé par le périodique la Hune, rue de Varenne.
(5) : Algemeen Handelsblad du 3 février et de Telegraaf du 8 février 1927.
(6) : Rue de Seine, n° 35, Paris VIème.
(7) : Du 22 avril 1927.
(8) : Du 23 avril 1927.

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Association Conrad Kickert
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