VI - Talent reconnu  > Salon d'art français indépendant

Dans une situation difficile, Kickert, au début de l’année, songea à se débarrasser des vingt-trois pointes sèches de Lodewijk Schelfhout qu’il avait acquises entre 1910 et 1913. N’ayant plus aucun rapport avec ce dernier, il chargea van Deene de s’en occuper. Et celui-ci écrivit froidement à Schelfhout (1) : "Comme vous devez le savoir, Conrad Kickert a acquis autrefois une collection complète de vos pointes sèches. Etant donné qu’il serait disposé à s’en séparer, je me permets de m’adresser à vous pour savoir si éventuellement vous aimeriez acheter cet ensemble. Si vous n’êtes pas vous-même acheteur, peut-être connaissez vous quelqu’un qui s’y intéresserait ? Dans le cas où vous voudriez racheter la collection, quelle somme pourriez-vous y consacrer ? Dans l’attente de ..." Aucun artiste n’aime recevoir ce genre de lettre. Schelfhout n’y donna pas suite, si seulement il y répondit.

A la même époque, des toiles de Kickert furent exposées à La Haye, à la galerie Plaats (on ignore comment la galerie se les était procurées) avec quelques œuvres d’artistes peu connus. Le critique J. Nieuwenhuis rendit compte sans indulgence de paysages peints en France par Conrad. Son article reproche au peintre qui "depuis des années et des jours suit son destin à l’étranger" d’avoir mal profité des leçons de légèreté et de luminosité de la peinture française. Il critique l’emploi de terres dans sa palette, la facture lourde, "la couleur étendue de façon épaisse au couteau". Il apprécie la "Ferme près du Moulin blanc" (2) en regrettant qu’elle présente une façade presque aveugle. Les aquarelles et les dessins trouvent grâce à ses yeux.

Kickert envoya une nature morte intitulée "Poissons et gibier" (3) au premier salon d'Art français indépendant ouvert le 9 février (4) qui groupait une partie des peintres ayant comme lui démissionné du salon des Indépendants. La parenté des deux dénominations se voulait indicative et le programme de ces nouveaux "Indépendants" (5) énonçait encore plus explicitement leur ambition : "Restituer aux artistes vraiment indépendants le cadre et l’esprit des Indépendants d’avant-guerre". Pour ce début, le salon présentait huit cent vingt-quatre œuvres pour quatre cents exposants, ce qui était une réussite, à la fois parce que les dissidents se manifestaient en nombre et parce que ne s’y retrouvait pas la pléthore d’artistes qui avait fini par encombrer le Grand Palais. L’accrochage ne se faisait plus selon l’ordre alphabétique des noms des exposants, mais les répartissait par écoles, depuis le Surréalisme, l’abstraction géométrique, le Cubisme (modéré), pour aboutir à l’art figuratif des Kickert, La Patellière, Vlaminck et bien d’autres. Personne ne se plaignit de ce classement. Le nombre et la qualité des critiques qui se déplacèrent constituaient en soi un encouragement, car rien n’eut été pire que le désintérêt envers cette fronde. Or tous les journaux et revues déléguèrent le titulaire de leur rubrique artistique. Aucun d’entre eux n’insista sur la rivalité des deux salons, ni ne dressa de palmarès comparatif. Pour Kickert, les qualificatifs correspondaient à ceux qui lui eussent été attribués au Grand Palais (6).

Citons les termes caractéristiques qu’employèrent les uns et les autres, par ordre alphabétique des noms de journalistes : Alexandre, dans le Figaro du 10 février : "bonne peinture" ; Chavance, dans la Liberté du 8 février : "grande nature morte [...] décorative" ; du Colombier, dans Candide du 28 février : "bien composée, vigoureusement peinte, une œuvre" ; Fierens, dans le Journal des débats du 8 février et dans la revue belge Variétés du 15 avril : "somptueuse nature morte" ; Fosca, dans l’Amour de l’art de mars : "étourdissante de métier, belle de matière, on souhaiterait seulement plus d’unité" ; Heilmeier, dans Pariser Zeitung du 16 février : "dans l’esprit des vieux maîtres hollandais" ; Holl, dans Correspondance artistique du 15 février : "somptueuse nature morte" ; Ladoué, dans l’Art et les artistes de mars : "savoureuse nature morte" ; Raynal, dans l’Intransigeant du 11 février "œuvre d’excellent professeur" ; Richard, dans Paris-Soir du 8 février : "un puissant Conrad Kickert" ; Terrien, dans la Meuse (Liège) du 10 mars : "belle nature morte".

Le nom de Kickert figure en outre dans les listes d’artistes à distinguer, établies par Bouyer (7), Brécy (8), Galtier-Boissière (9), Gauthier (10), René-Jean (11), Perceval (12), Vanderpyl (13), Vauxcelles (14), André Warnod (15) et X (16).

Le 15 février, Guillaume Lerolle, représentant pour l’Europe du Carnegie institute de Pittsburgh (Pennsylvanie USA), s’enquit de l’adresse de Kickert auprès du bureau du salon et lui adressa le lendemain par lettre, une invitation à participer, en automne, à l’Exposition internationale du Carnegie institute, ce qui donnait à Kickert une ouverture riche de promesses vers les amateurs d’art américains.

(1) : Lettre du 10 février 1929 (archives L. Schelfhout, RKD, La Haye).
(2) : "Ferme près du moulin blanc" 1927 (81 x 65 cm) Opus A.27-25.
(3) : "Fish and game" 1929 (115 x 105 cm) Opus A.29-13, Rockford art museum (USA).
(4) : Au Palais des expositions, 148 rue de l’Université, local d’une taille insuffisante et mal éclairé, d’après le critique artistique Brécy in l’Action française du 5 mars.
(5) : Cité aussi par Brécy in l'Action française.
(6) : Seule façon de désigner les autres Indépendants, on n’ose pas dire "les vrais" ni "les anciens".
(7) : In le Bulletin de l’art du 15 mars.
(8) : In l’Action française du 5 mars.
(9) : In le Crapouillot de mars.
(10) : In la Gazette de Paris du 17 février.
(11) : In Comœdia du 7 février.
(12) : In Patrie du 11 février.
(13) : In le Petit Parisien du 8 février
(14) : In l'Excelsior du 10 février.
(15) : In Comœdia du 7 février.
(16) : In l’Ami du peuple du 14 février.

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